Soliloque Introspectif




J'écrivais des mots comme on peint une toile. Parfois je les lançais, comme un peintre jette sa matière colorée, au hasard, au grès des pulsions de ses états d'âme. La vérité était là, sans déontologie, sans retenue. Les mots fusaient, les verbes saignaient. Ils étaient bruts de fonderie, sans arrondi, sans lissage, comme ils me venaient, sans imaginer le pouvoir qu'ils renfermaient. Car il semble bien qu'ils en renfermaient. Je défiais son corps de mes verbes impulsifs. Écrire. Écrire un poème c'est merveilleux. C'est donner un peu de soi. C'est donner vie à ses rêves. C'est oser dévoiler l'essence même de notre intimité, c'est démaquiller les traits enfouis sous nos masques de pudeur, c'est dessiner l'image trop longtemps ternie par les stigmates de nos caricatures. Écrire, c'est descendre au fond de nos doutes pour en arracher la moindre parcelle d'incertitude. Écrire, c'est explorer le labyrinthe inextricable des entrailles de nos sensations pour y découvrir leur mécanisme sensitif. Écrire, c'est tenter une douloureuse introspection aux confins des abîmes de notre inconscience, là où se trament les conflits de nos passions, là où s'édifient la complexité de nos sentiments. Les mots sont magiques. Ils transcendent nos pensés. Ils magnifient nos maux. Ils extrapolent nos banalités. Ils se fondent et se mélangent en une maestria poétique, en une calligraphie sensorielle, en un tableau de douceur pastelle. Et sur la toile de nos désirs nous plongeons la soie sensuelle de nos pinceaux subtils dans les nuances délicates de nos émotions aux innombrables pigments colorés. Les vers sont des couleurs, les poèmes sont des peintures. Et elle, elle était mon modèle. Je la dessinais avec mes rimes. J'esquissais son sourire avec ma palette multi-sonore sur les toiles que mon coeur tissait. La poésie, c'est le miroir du coeur où se reflète l'image des nombreux visages de l'amour. Lui écrire, c'est lui faire l'amour. Réveillons nos cœurs

“ Je t’aime ”. Sept lettres qui bouleversent. Simplement sept lettres. Quatre voyelles et trois consonnes qui forment la phrase la plus belle du monde. “ Je t’aime ”, ces quelques mots posés sur le papier sont magiques, ils deviennent sublimes lorsqu’on les glisse tendrement à l’oreille, déposant au passage un bref baiser dans le creux du cou. “ Je t’aime ”, une douce musique qui réchauffe le cœur, qui provoque de légers frissons, qui déclenche le désir. Le désir. Le désir de l’autre. Ce désir qui fait briller les yeux, trembler les mains. Le désir, une force indescriptible, incontrôlable. Et le bonheur nous inonde, comme une pluie de plaisir, comme l’ivresse d’une caresse sur un corps qui s’étire. Le bonheur nous étreint. C’est une main qui vagabonde sur le velours d’une peau sucrée. Le bonheur est une bouffée d’air pur, entre deux apnées de solitude. Le bonheur c’est l’innée au milieu de la figure ! Mais le bonheur nous égare, trouble nos moyens. Il nous éblouit comme un soleil trop présent. Le bonheur est un verbe que l’on conjugue trop souvent à l’imparfait. Quant à l’amour, il est son sujet dans une phrase au passif. L’amour. Comment exprimer l’amour ? Les dictionnaires nous en donnent une définition terne, sans poésie, triste. L’amour est tout autre. C’est un état général. Une sensation sublime qui nous envahit. Une pression violente que l’on ne peut contrôler. C’est un désir fou qui nous comprime, qui nous aveugle. L’amour prend possession de nos âmes, nous tourmente, paralyse notre logique. Plus rien d’autre n’a d’importance. Nos pensées oublient le bon sens, tout semble possible. L’amour est une drogue. Il annihile les attaches du concret et l’on s’envole. On s’envole vers des horizons sublimes, vers des cimes merveilleuses, des pays magnifiques. Et tout devient joie, plaisir et sensualité. Le sexe alors s’impose, comme la concrétisation de l’amour. Les ébats charnels s’enchaînent, d’érotisme torride, en sexualité tendre, les corps s’exaltent dans des coïts aussi intenses que brefs. Faire l’amour c’est attendre de l’autre ce que l’on n’ose lui offrir. Le désir c’est l’appétit de l’amour. L’érotisme ? Son menu. Le sexe ? Son repas.

Sa bouche était une oreille où mes baisers glissaient leurs secrets. Ses yeux, des projecteurs où défilait le film du plaisir. Sa main, une promesse que j'aimais tenir. Ses seins, des sculptures que je rêvais de modeler. Son ventre, la toile d’un tableau frémissant sous les nuances de ma paume. Son corps, une scène où se jouait la chorégraphie des sens. Son sexe, un cahier où ma plume encrait ses mots d’amour. Sa jouissance, un chant magnifique qui emportait les cordes d’un violon suave. L’amour est une caresse du cœur.

Ce soir là je lui avais fait l’amour. Si, si, je vous assure. Je me souviens bien, que nous avons fait l’amour. Dans un grand lit frais, où régnait une douce odeur de campagne, bercée par le chant des oiseaux. Vous en doutez ? C’était pourtant bien elle. Je me rappelle bien : la douceur de sa peau, le goût de ses lèvres, ce sexe qui dansait devant moi, comme une invitation à la grâce, ce velours soyeux qui courait face à mon désir embrasé... Elle était heureuse, épanouie, amoureuse. C’était superbe, magique, féerique. Une frénésie sensuelle, un feu d'artifice de jouissance… Non, en fait c’était horrible.

Enfin, surtout au réveil, lorsque je me suis aperçu que celle que j’enlaçais n’était que mon oreiller et que notre nuit d’amour n’était qu’une nuit de rêve. Quelle déception... Alors j’ai craqué. Je n’en pouvais plus. Je me suis mis à hurler, à crier. Au secours, help, à l’aide, à moi ! J’ai appelé le SAMU, les pompiers, police secours, SOS amitié. J’ai appelé Bernard Kouchner, l’Abbé Pierre, médecins du monde, les restos du cœur, Mère Térésa, Jean Paul II. Mais ils s’en contre-foutent tous. Bande d’égoïstes ! Alors, j’en appelle aux équarrisseurs, qu’ils prennent mon cœur, ce viscère désormais inutile, pour le transformer en cosmétique, en lipstick, qui colorera de rouge les lèvres de celles que j’embrassais, pour le transformer en pet-food, pour les chiens cholestérol de ces maîtresses du passé. J’en appelle à France Transplant, au professeur Swartzenberg pour greffer mes reins à celles qui pissaient de rire de me voir souffrir. J’en appelle à Dieu pour me canoniser, et devenir ainsi, le saint patron des causes perdues. J’en appelle à Diable, pour revenir fantôme et hanter les mémoires. J’en appelle aux putes, pour séropositiver mes fantasmes. J’en appelle à la Terre, pour transformer mes cendres en un terreau fertile, afin que la ciguë puisse pousser à foison, empoisonnant ceux qui m’ont empoisonné la vie. J’en appelle aux bouilleurs de cru, pour distiller mon passé, afin qu’elles se saoulent de mes souvenirs, jusqu’au coma éthylique irréversible. J’en appelle aux taxidermistes, afin d’empailler mon corps accroché tel un trophée de chasse au mur de leur indifférence. J’en appelle à l’enfance, pour redevenir simple. J’en appelle aux cinéastes pour pelliculer mes cauchemars. J’en appelle aux veilleurs de nuit, pour me garder éveillé, afin de ne plus rêver d’improbables amours qui me minent. J’en appelle aux forces de l’obscur, pour m’aider dans la recherche de ce graal. J’en appelle aux cons de la terre entière. J’en appelle aux trolls et aux farfadets, aux héroïnes inconnues, pour partir retrouver Emma Peel. J’en appelle à l’amour, pour qu’il me donne la force de continuer à vivre l’amour que j’ai choisi. Je l’appelle. En attendant, je rejoins mes animaux paranoïaques dans mes zoopsies nocturnes. J’ai cru pouvoir ne plus aimer. Mais la seule chose que je sache faire, c’est de dire je t’aime du bout des doigts. Alors je maquille ma vie d’un fard à bonheur nourri au sein de l’amère. Car dans mon monde digital, seule ma médiocrité égale ses splendeurs féminines gracieuses. Je suis l’antithèse de tout ce qu'elle pouvait espérer.

Son cœur était ailleurs. Son désir aussi. Il est vrai que l’on n’offre pas son corps ainsi, simplement, si le cœur est absent. Et tous les mots du monde ne peuvent donner naissance à un sentiment inexistant. L’amour ne s’invente pas, il ne se commande pas. Il est, ou il n’est pas. Alors je continuerai à aimer seul, une image qui se ternira avec le temps, pour sombrer un jour dans l’oublie des années. Elles sont des milliards et je ne vois qu’elle ! Ah, si seulement je pouvais me contenter de la médiocrité d’une autre ! Evidemment, je n’avais rien à lui offrir. Pas la moindre parcelle de terre jouxtant une plage bercée par le Pacifique, dans un coin idyllique de Nouvelle Zélande. Pas le moindre appartement luxueux d’une banlieue chic d’une ville australienne. Non, rien de tout cela. Pas même un sublime atelier d’artistes, où vivraient des peintres inspirés, des musiciens talentueux, des écrivains subtils. Non, rien de rien. Aucune espèce de mode de vie qui aurait ressemblé à ce qu'elle aurait pu connaître dans ce passé qui lui manquait tant. En lieu et place des surfeurs bronzés aux corps athlétiques, évoluant sur les rouleaux d’un océan majestueux, un simple introverti maniaco-dépressif, un rien rondouillard, bassement cartésien, prisonnier de ses racines slaves et ternes. Un monde de grisaille, de pluie, de neige, de froid. Un monde claustrophobe, renfermé sur lui-même, d’où accouche douloureusement de piètres poèmes, de tristes lettres dérangées, jamais innocentes. Comment aurait-elle pu trouver rien qu’un semblant de bien être, de soleil, de joie, dans cet univers asthmatique et clos ? Elle rêvait de lumière, je lui offrais l’ombre. Une ombre angoissante, envahissante. Un malaise lancinant, sans horizon. Une vision aveugle d’un futur sans avenir. Un bonheur sans issue, un amour à sens unique. J’étais le miroir en négatif de tous ses espoirs. L’antithèse de ses désirs. Elle semblait attirée par ma non-existence, comme le bien par le mal, la belle par la bête, le rouge par le noir. Un peu comme si elle avait voulu exorciser son passé magique et merveilleux, en approchant ce qu’il pouvait y avoir de plus laid. Et moi, pauvre crétin que j’étais, je l'inondais d’érotisme brûlant, de désespoir larmoyant, d’appels déchirants. Je me suis ridiculisé face à sa bonté magnifique, face à ses splendeurs, à sa beauté physique et spirituelle. Je la perturbais de mes incompétences, de mes maux d’amour, de mes incompréhensions. Je la harcelais de mes appels nocturnes, de mes lettres stupides, de mes poèmes immoraux. Désolé. Je la désirais. Dans ma chair, dans mon cœur. Elle était là, partout, omniprésente. Elle hantait mon quotidien. J’imaginais une complicité impossible, une vie commune à jamais disparue. Je sais, c’est une histoire simple. Une histoire banale. Une histoire qui ne mérite même pas d’être racontée. Une histoire qui ne vaut pas le centième de l’encre que j’use pour en parler. L’histoire d’un quidam sans intérêt.

L’amour c’est comme le temps. Il commence à faire beau, puis très chaud. C’est l’amour au zénith. Puis les nuages s’amoncellent, de plus en plus noirs et lourds. Ensuite c’est l’orage tragique, la rupture violente. Avec les éclairs, le tonnerre. Enfin, l’accalmie, le soleil réapparaît. Une nouvelle histoire. Mais les pluies torrentielles ont laminé la terre, et les inondations persistent, avec leur cortège de coulé de boue. Il faut du temps pour que le sol absorbe toutes ces eaux et que la prairie retrouve sa verdure. Au prochain printemps. Avant un été torride qui fatalement sera orageux !

Alors, seul, dans cet hiver qui me plaît tant, mes mots s’endorment. Et quand se taisent les verbes, ce sont les rêves qui se meurent, dans la tendresse des ombres hivernales. Et là, dans mes crises de silences, se mélange le mutisme de la honte, mêlé aux cris du désir. Ce désir interdit, impossible. Mais que peut-on attendre d’un amour impossible ? L’impossible, justement. L’impossible qui fait que je suis amoureux d’une chimère, amoureux de ce désir interdit. Ce désir qui me hante, sans cesse. L’amour est le sentiment le plus pur, le plus beau, mais le plus dangereux, le plus tortueux. Il existe une infinité de façons de s’aimer. Aucune, ne nous ressemblait. Tout cela était grotesque, un énorme non-sens où mon seul but était d’attendre. Attendre qu’il ne se passe rien. Je ne voyageais plus dans mes délires, je subissais le temps, en sachant que chaque seconde à venir sera encore plus vide que la précédente, inlassablement. Je regardais s’évaporer mon passé, et mon futur perdait toutes dimensions, toutes prétentions. Il n’y avait plus de futur, seulement un présent pesant, identique, linéaire. Les jours se ressemblaient dans leur platitude, comme un hiver éternel qu’aucun printemps ne vient réchauffer. Une sorte de vie végétative, minérale.

Adieu donc, amour virtuel, jouissance interdite de mes nuits secrètes. Il était temps de mettre un terme à notre relation depuis trop longtemps dans l’impasse. Il me semblait bien à présent impossible de concilier mon néant et son espace. Chacun de son côté, nous bâtissions nos démesures diamétralement opposées. Moi, recroquevillé dans l’improbable imbroglio du labyrinthe inextricable de mes tourments hermétiques torturés, elle, dans la plénitude créative du champ azuréen de sa beauté somptueuse extravertie. Le noir et la couleur. L’obscur et la lumière. Le corps et l’esprit. L’amour et l’amitié. Deux extrêmes. Deux mondes différents, sans intégration possible. Même pour nous définir, je n’ai besoin d’aucun verbe. Les mots se suffisent à eux seuls. Là où il n’y a pas de verbe, il n’y a pas. Le verbe exprime l’existence, l’action, l’état ou le devenir du sujet. Tout ce qui n’existait pas entre nous. Le non-verbe, c’est la négation de toute existence.

"J’aime ce que tu es. Je suis ce que tu hais. J’aime ce que tu suis. Tu hais comme je suis. Tu es comme je t’aime. Tu hais comme je t’aime..."
.



Alain/So Sad 30/09/2003





retour