Nostalgie Télévisuelle




Je suis de la génération qui est née avec les prémices de la télévision moderne. Elle n'était pas encore en couleur et n'avait que deux chaînes, la Une et la Deux. Tout du moins pour la majorité des français, car dans mon coin de Lorraine, j'avais en plus la chance d'en avoir une troisième : Télé Luxembourg ! A cette époque, les programmes ne débutaient qu'en fin d'après midi et le reste du temps on avait le droit à la "mire". La mire était une sorte d'image fixe représentant un quadrillage noir et blanc sur lequel se découpait un cercle lui-même constitué de bandes verticales de différentes tailles et d'épaisseurs variables se déclinant en multiples nuances de gris. La mire ne servait à rien, juste à me faire patienter en attendant l'heure des premières émissions. Mais ça faisait joli sur l'écran du téléviseur lequel ne possédait d'ailleurs que deux gros boutons ronds sur sa droite et un gros transformateur jaunâtre en dessous pour passer du 220 volts récemment imposé en France au 110 volts requis pour faire marcher la boîte à image. C'était une "Pathé Marconi, La Voix de son Maître", c'était écrit juste sous le petit chien qui semblait écouter la musique sortant du pavillon d'un gramophone d'antan. Lorsque la mire disparaissait, prenait place le dessin d'une horloge en spirale dont l'aiguille des secondes égrainait le temps restant avant le générique de début des émissions. Un générique à la musique vrombissante, immuable. Enfin apparaissait la speakerine, sorte de femme tronc au brushing impeccable, assise à coté d'un pot de fleur sobre, qui récitait dans un français sans faute et très cérémonial ce dont nous réservait la soirée. Tout le monde écoutait religieusement ce que cette dame nous disait, ce qui après coup peut paraître complètement stupide vu que, de toute façon, on y voyait toujours les mêmes choses !  Sur Télé Luxembourg, la présentation était quelque peu différente, quoique guère plus joviale. Après la mire luxembourgeoise sensiblement identique à la mire française, surgissait le lion stylisé emblème du Grand-Duché, puis une voix off disait solennellement "Ici Télé Luxembourg, Canal 7 et Canal 21, émetteur de Dudelange, Grand-Duché de Luxembourg". Là aussi, la précision semblait quelque peu incongrue, vu qu'à partir du moment où on voyait l'image c'était bien qu'on était sur le bon canal et non sur un autre.

Pour tout un chacun, Télé Luxembourg ça n'évoque pas grand chose. Mais pour le Lorrain moyen qui a grandi dans les années 60, Télé Luxembourg c'est tout un symbole. C'était notre télé, celle que personne ne voyait ailleurs et que tous ceux qui passaient par la Lorraine avec ou sans sabot nous enviaient. Une sorte de culture audiovisuelle locale intimement liée à la vie de la Lorraine. Tandis que le reste de la France n'avait pour seul loisir que d'écouter Catherine Langeais ou Léon Zitrone, nous, nous avions le choix de dire non et de leur préférer Zappi Max, Pierre Bellemare ou Georges de Caunes ! Et oui inaugurée le 23 janvier 1955 par la Grande Duchesse Charlotte 1ère, le jour de ses 59 ans, Télé Luxembourg suite à des débuts chaotiques fait rapidement appel à des grands noms de la RTF d'alors pour imposer une image familiale et bon enfant en parfaite opposition avec la rigueur austère des deux chaînes françaises. Car là où la programmation française pêchait par son manque de grain de folie, celle luxembourgeoise nous gratifiait d'un film par soirée, de jeux surprenants et de séries étrangères inédites. Mais surtout Télé Luxembourg c'était la chaîne des enfants avec sa légendaire émission "L'École Buissonnière" les jeudis en fin d'après midi puis les mercredis. Chaque enfant rêvait un jour d'y participer ou au moins que son école y soit citée. Mais Télé Luxembourg c'était aussi "Ram Dam" un magazine féminin préfigurant les futurs Téléachats, "De Nos Clochers" un journal régional qu'on ne loupait sous aucun prétexte ou encore chaque dimanche à midi "Hei Elei, Kuck Elei" 45 minutes d'émission en luxembourgeois complètement incompréhensible pour le petit français que j'étais, mais tellement dépaysante ! C'était comme un voyage à l'étranger mais tout en restant chez soi ! Que de souvenirs et d'émotions…





Jusqu'au milieu des années 80 Télé Luxembourg, novatrice, avant-gardiste (elle fut la première à proposer Dallas en Europe), rebaptisée RTL Télévision, puis RTL TV et enfin RTL9 illumina les beaux jours cathodiques des Lorrains avant de se positionner sur le câble et de devenir une chaîne commerciale comme toutes les autres. Bref depuis ma naissance j'ai été nourri à la sacro-sainte télévision, fût-elle luxembourgeoise ou française d'ailleurs. Et ce qui restera gravé à jamais dans ma mémoire, ce sont ces formidables séries, généralement américaines ou anglaises, qui ont bercé mon enfance jusqu'au seuil de mon adolescence où j'ai soudain trouvé d'autres plaisirs moins cathodiques ! Des images et des noms reviennent me hanter : Voyage Au Fond Des Mers, Mission Impossible, L'Homme De Fer, Amicalement Vôtre, Chapeau Melon & Bottes De Cuir, Les Mystères De l'Ouest, Flipper le Dauphin, Star Trek, Cosmos 1999, les Thunderbirds, Le Fugitif, Daktari, les Agents Très Spéciaux, L'homme de l'Atlantide, Happy Days, Cher Oncle Bill, La Quatrième Dimension, Les Envahisseurs, Destination Danger… Que de héros, de situations inextricables, d'émerveillement. Ah la classe de John Steed, la sensualité d'Emma Peel, L’humour de Danny Wilde, la prestance de Brett Sinclair… Napoleon Solo, Illya Kuryakin, Josh Randall, Richard Kimble, Robert Dacier, Kojak James West, Artemus Gordon, le capitaine Kirk, Monsieur Spock et tant d’autres ont enchanté mes jeunes années innocentes.


Mais il est un de héros qui me marqua bien plus que tous les autres. Un homme aux abois, un homme sans nom, un homme sans cesse harcelé au milieu d'un curieux village chatoyant à l'architecture hétéroclite ! Qui est-il ? Pourquoi est-il là cet homme traqué ? Juste un ancien agent secret démissionnaire enfermé dans une prison sans barreau où ses geôliers tentent coûte que coûte de lui arracher les raisons de sa démission. De bien étranges gardes d'ailleurs qui n'ont pour patronyme qu'un simple numéro accroché à leur veston, tout comme l'ensemble des résidents du village dont on se sait jamais s'ils sont eux-mêmes gardiens ou détenus. Des villageois aussi singuliers que l'est leur village. Habillés de couleurs vives, souvent coiffés de hautes-formes ou de canotiers bariolés, se protégeant du soleil par de larges parasols chamarrés, ils ne parlent quasiment pas, mais se saluent à tours de bras d'un "Bonjour chez vous !" laconique ("Be seeing you" dans la version originale). Sous leur aspect bon enfant, derrière leur visage insignifiant de monsieur tout le monde, il est impossible de savoir qui est le traqueur et qui est le traqué. Et notre homme aura bien du mal tout le long de ces dix-sept épisodes à reconnaître qui est qui, hormis celui qui semble régner en maître sur ses concitoyens, l'incontournable n°2 ou plutôt les incontournables n°2 ! Car une des nombreuses particularités de ce village, c'est que celui est en est à la tête, à quelques exceptions près, change à chaque épisode ! Seuls trois personnages récurrents traversent la série de bout en bout. Notre homme donc, qui se verra affublé d'un emblématique n°6, numéro qu'il ne portera jamais, un majordome nain qui semble être le seul à avoir le privilège de ne pas être numéroté et un superviseur chauve. Dans cette prison à ciel ouvert, chacun vaque à ses occupations quotidiennes, rythmées par l'omniprésence de musiques lénifiantes et de messages informatifs diffusés en continu par des haut-parleurs. De bien singulières occupations d'ailleurs. Si certains semblent posséder un véritable travail, un boutiquier, une serveuse de café, des chauffeurs de taxi – des Mini-Moke, sorte de voiturettes semblables à celle qu'on trouve sur les terrains de golfe – la majorité des habitants paraît couler des journées douces à écouter la fanfare locale, à jouer aux échecs, à attendre le jour suivant. Seuls quelques-uns, enfermés dans une salle ronde au milieu de laquelle tourne inlassablement un de bras mécanique, espèce de radar au bout duquel est assis un opérateur, s'affairent de jour comme de nuit à garder un œil sur tout ce qui se passe. Car le village est en permanence sous le contrôle d'une multitude de caméras filmant les moindres faits et gestes des résidants. Ils sont les garants de l'ordre et de la sécurité, déclenchant en ultime recours "l'alerte orange" qui se traduit par l'apparition du "rôdeur". Une angoissante boule blanche et molle de taille variable qui prend en chasse les fuyards et les capture en les étouffant. Ni animal, ni végétal, cette entité paraît pourtant bien vivante.

© So-Sad 01/11/2006

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