H.F.T à Poirel




Nancy, Salle Poirel, Mercredi 17 novembre 2004

Bien qu'a
rrivé 40 minutes avant le début, une bonne moitié des sièges était déjà occupée. C'est vrai que la salle est plutôt réduite par rapport aux grands halls de spectacle habituels, mais tout de même. C'est donc dans la deuxième moitié des fauteuils, sur la gauche de la scène, que je trouve de quoi me poser. Je bouscule quelque peu le chaland pour me frayer un chemin à travers les travées, pardon madame, pousse-toi connard et j'arrive enfin à destination, vers ce siège tant convoité. Je me défais donc de ma doudoune hivernale et tente de m'installer du mieux possible, ce qui n'est pas une mince affaire, vu la grandeur d'icelui que vous lisez présentement. 1,84 mètre faut les caser et ce n'est pas toujours simple, notamment quand l'architecte du dit bâtiment ne devait pas dépasser le mètre vingt. Mais bon, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, je tente tant bien que mal de me positionner au mieux. Me voilà assis. Je jette un regard alentour afin de me faire une idée du public présent. Pour une fois je suis heureux je ne fais pas partie des plus vieux ! A droite un couple anonyme, propre sur lui, rien à dire… A gauche deux quinquagénaires en goguette qui se remémorent, profitant que bobonne garde les mioches à la maison, leurs exploits alcooliques de leurs vingt ans à jamais perdus. Devant, une foule hétéroclite où se mélangent toutes les tranches d'âges confondues, toutes les origines sociales. Je me dis que cet artiste a su, depuis bientôt trente ans, ne pas se cantonner à un seul public mais qu'il a su rallier à lui plusieurs générations en une même communion. Derrière, ouh là, jolie brin de fille ! Environ 35 ans, seule… Hé, hé, les réflexes de l'homo erectus prennent le dessus et j'ose lui faire un large sourire espérant un signe similaire en retour. Soudain un grand gaillard bien costaud me rappelle en l'embrassant goulûment que le spectacle se passe devant et non derrière. Ce qui m'arrange sinon je risquais un torticolis doublé d'un lumbago. Je reprends donc ma position initiale oubliant le regard tueur du gros goulu dans mon dos.




 
La salle est déjà bien remplie. Plus aucune place de libre sur le parterre. Ne reste que les baignoires qui rapidement sont prises d'assaut à leur tour. J'en profite pour admirer l'architecture de cette salle magnifique. Bâtie à la fin du XIX par l'architecte Albert Jasson, grâce à un legs de Victor et Lisinka Poirel. L'Ensemble Poirel se voulait alors un centre de création contemporaine rassemblant une galerie d'exposition, un conservatoire de musique et bien entendu une salle de concert que je suis en train d'admirer. Véritable lieu de mémoire, outre son cadre de scène, La Salle possède toujours son lustre d'antan, ses balcons richement décorés et son fameux vitrail de Champigneulles qui orne le plafond. Une fois les 883 places occupées la lumière s'éteint progressivement laissant seule la scène complètement vide dans la pénombre. Pas un instrument, pas un pied de micro, absolument rien ! La scène est désespérément vide ! Curieuse impression !

Soudain au loin le son d'une guitare se fait entendre et, dans un halo de lueur blafarde, apparaît celui pour qui toute la salle n'a d'yeux! Et voilà l'homme, seul, presque insignifiant, penché sur son instrument qui entame les premiers mots de sa première chanson. Dépouillé de tout accompagnement, il nous offre ses vers bruts de fonderie, sans artifice, comme s'il mettait ses textes à nu, nous offrant la substance moelle de ses mots. Ses chansons prennent une dimension nouvelle, comme si on les redécouvrait de l'intérieur. Un frisson m'envahit, mes poils se dressent fac
e à l'émotion ressentie. Je redécouvre ses textes ainsi dépoussiérés d'arrangements inutiles et une voix. Sa voix. Une voix qui, si jusqu'alors à travers ses enregistrements, me semblait plutôt timide et effacée, se révèle alors d'une force incroyable. Et les morceaux s'enchaînent passant de la douce ballade au rock'n'roll le plus tonitruant, toujours à la guitare acoustique, quelquefois accompagnée d'un humble harmonica discret que lui apporte son assistant. Entre deux morceaux, l'artiste s'amuse. Il commente. Raconte des histoires, jamais ordinaires, toujours pince sans rire… Dénonce avec son humour si particulier les travers de notre société, les aléas de sa propre existence, jamais très sérieux mais toujours percutant. Et l'échange avec le public est exceptionnel. Chaque intervention est saluée par un concert d'applaudissements soutenus. Et l'homme repart de plus belle, déversant son flot de paroles sur sa musique épurée. Bien sûr l'homme n'est pas un musicien émérite, loin de là. Mais peu importe. Lorsqu'il plante sur un accord ou lorsque ses doigts se mélangent aux fils d'arpèges délicates, il en fait un atout, les transforme en gag, improvise un bon mot. Un vrai régal. Et quand soudainement une corde lâche, il poursuit son chant à capella attendant que son assistant lui apporte un nouvel instrument. Et le concert se poursuit alternant douceur et désespoir, revisitant ses standards dans des versions inédites qui laissent le spectateur sans voix. Depuis l'"Affaire Rimbaud" et "La fin du Saint-Empire Romain Germanique","les Dingues et les Paumés" sont partis en "Exil sur Planète Fantôme". "542 Lunes et 7 Jours Environ" se sont déroulés depuis ce fameux "Crépuscule – Transfert" où "La Fille du Coupeur de Joints" en ce "Septembre Rose" a peint un "Camélia : Huile sur Toile" tout en criant un "Je t'en remets au vent" déchirant. "Demain les Kids", gorgés de "Pulque Mezcal y Tequila" déclameront leur "Droïde Song" avant d'en finir sur "Des adieux.../...". Tout son univers est là. Et l'homme en impose. Sa présence est magique. Seul il arrive à envahir toute la scène, ne tient pas en place, allant du côté cour au côté jardin, interpellant le public, taquinant son assistant, se parlant même à lui-même dans une sorte d'autocritique désabusée et hilarante. Mais il sait aussi être tendre et révolté, poignant et dépressif. Et la foule chante, tape des mains, applaudit encore. Une véritable osmose s'opère entre la salle et la scène. Après trois rappels salués à tout rompre par un public debout, il termine son show par deux reprises déchirantes de Léo Ferré. Sublime ! En deux heures de concerts, il a su imposer une nouvelle fois son génie poétique, seul complètement seul sur une scène jamais assez grande pour accueillir tout le talent de ce poète des temps modernes, toujours à la marge, jamais dans les normes.

Là où certains pallient la pauvreté de leurs propos par des feux d’artifices, des jeux de scène envahissants, surdimensionnés, lui, avec simplement six cordes et sa poésie fait chavirer en salle entière.

Un homme exceptionnel pour un concert d'exception.

Monsieur Hubert Félix Thiéfaine, je vous salue bien bas. Respect.


© Alain Dukarski 25/11/2004


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