Grand Vent
Une
amie m’a avoué récemment qu’elle ne lisait pas mes
chroniques musicales. Non pas qu’elles étaient mal
écrites mais les artistes dont je parle
régulièrement lui sont inconnus. « Mais pourquoi,
n’écris-tu pas sur des artistes que tout le monde connaît
? Je ne sais pas moi Bruel, Cabrel, des gens comme ça ! ».
Du coup je me suis interrogé. Prenons Cabrel par exemple. Connu
de tous, Cabrel est l’artiste français qui détient le
record de vente, soit 19 millions d’albums à ce jour depuis ses
débuts. Ca peut sembler beaucoup, mais si on le compare par
exemple à Pink Floyd, rien que leur album « Dark Side of
The moon » s’est vendu à plus 30 millions d’exemplaires !
Au total Pink Floyd comptabilise la bagatelle de 220 millions d’albums
vendus ! Alors il me semble un peu hâtif d’affirmer que je
n’écoute que des artistes que personnes ne connaît ! Bref,
toujours est-il que je me suis demandé quel artiste pouvait bien
à la fois faire partie de ma culture et de la sienne. Et soudain
la lumière fut ! Fiat lux comme disait Giovanni Agnelli !
Celui dont je vais vous compter les premiers pas musicaux est, de
l’avis de tous, l’un, si ce n’est le, plus important auteur-compositeur
des vingt dernières années. Accessoirement il est aussi
reconnu comme l’un des chanteurs majeurs de cette même
période. C’est simple, en plus de sa propre carrière, il
a écrit pour les plus grands interprètes et tous nous
avons en tête l’une de ses chansons. Pourtant rien ne le
présageait à devenir cet homme incontournable, bien au
contraire. Guitariste chanteur dans les années soixante-dix, il
évoluait dans un style musical radicalement différent de
celui qu’on lui prête aujourd’hui. Pour cause l’homme faisait
dans le rock progressif et, qui plus est, de fort belle manière.
Tout débute en 1972, lorsque les frères
Khanh et Taï Ho Tong, d’origine vietnamienne, créent le
groupe Taï Phong, qui signifie « Grand vent » en
vietnamien. Tous deux ont
déjà une bonne expérience musicale et recrutent
par annonce dans le « Melody Maker » un clavier et un
guitariste chanteur. Perfectionnistes à l’extrême, les
deux frères refusent de signer le contrat que leur propose un
producteur ce qui ne manque pas de créer des tensions dans le
groupe. S’en est trop pour le guitariste John qui décide de
quitter le navire. Une nouvelle audition est organisée pour
recruter un guitariste. C’est à ce moment qu’arrive celui qui
deviendra bien des années plus tard une star incontournable. A
cette époque il n’a que 23 ans et compte déjà 18
ans de formation musicale à son actif, ayant appris le violon
à 5 ans. Pour l’heure il travaille dans une boutique d'articles
de sport à Montrouge. Parallèlement le clavier Less est
remplacé par Jean-Alain Gardet, un solide pianiste
élevé au jazz et au classique. Le groupe signe chez
Barclay en 1973, mais s’en sépare rapidement, le label tardant
à sortir leur 45 tours. Décision est prise alors
d’autofinancer une maquette qui finira entre les mains du responsable
international de chez WEA. Après de sérieuses
négociations, le groupe signe avec ce dernier. Le travail peut
enfin commencer non sans avoir préalablement recruté un
batteur en la personne de Stéphan Caussarieu. Des premiers
concerts sont organisés pour apprécier l’accueil du
public, lequel répond avec enthousiasme. Seul bémol,
notre future star a un gros problème. Tétanisé par
le trac, il vomi triple boyaux avant d’entrer sur scène ! Si
cela n’entrave pas ses prestations scéniques, il
choisira néanmoins de ne plus faire aucun concert après
la sortie du deuxième album. De plus, il devait également
remplir ses
obligations militaires, ce qui obligea le groupe à jongler pour
trouver le temps d’enregistrer de se produire en public.
Quoi qu’il en soit, le groupe sort son premier
disque en juin 1975 et reçoit un accueil plus que positif. Les
critiques sont bonnes et le comparent volontiers aux albums de Pink
Floyd ou de Genesis. Les vocaux sont délicats, les
mélodies de toutes beautés offrant un subtil
mélange de compositions acoustiques et électriques. Le
titre « Sister Jane », chanté par celui qui est
à l’initiative de cette chronique, sort rapidement en single et
se vend à plus de 200 000 exemplaires ! Mais le groupe souffre
d’un manque d’image, de look et surtout de chanteur attitré,
chaque titre étant interprété par l’une ou l’autre
des deux voix du groupe. Le début de l’année 76 est
consacré à l’enregistrement du second album «
Windows ». Six nouveaux titres illuminent cet album bien plus
abouti que le précédent. Les compositions nettement plus
personnelles sont de toute beauté. Taï Phong réussi
à se créer un univers musical qui lui est propre. «
Windows » contrairement au précédent opus gagne en
cohérence, en unité, ce qui est assez surprenant, chacun
des musiciens composant dans son coin avant de soumettre leurs titres
à un vote démocratique des autres membres. Le traitement
des voix est absolument remarquable, celui que j’appellerai
désormais « Jean-Jacques » pour les besoins de
l’article et pour laisser planer le suspens, dévoile tout son
potentiel vocal. Son chant haut perché, toujours en
équilibre précaire apporte une fragilité, une
émotion supplémentaire du meilleur goût. Les titres
comme « When it’s the season » ou « Games »
sont bouleversants. Malheureusement le grand public semble un peu perdu
par l’orientation musicale du groupe.
Intervient
alors une période de flou artistique où certains membres
décident de tenter d’autres expériences. Le premier
à faire le pas est Jean-Alain qui rejoint le groupe Alpha Ralpha
le temps d’un album, ses compères Khanh, Taï et «
Jean-Jacques » apportant leurs voix pour un disque assez planant.
La surprise vient de « Jean-Jacques » qui prend tout le
monde à contre-pied en proposant un 45 tours, « c’est pas
grave Papa » très très coloré
variété française ! Taï Phong, revient en 77
avec le single « Follow me » écrit par «
Jean-Jacques » qui veut donner une nouvelle direction au groupe.
Mais le manque d’implication de la maison de disque qui depuis le
début ne favorise pas la promotion du groupe, fait que le titre
passe quasi inaperçu. Cela n’empêche pas Taï Phong de
vouloir entamer une nouvelle tournée. Mais c’est sans compter
sur le refus catégorique de « Jean-Jacques » qui
décide de ne plus se produire en public ! Difficile pour les
autres membres de se passer des qualités de guitariste et de
chanteur de « Jean-Jacques ». Pour y palier tant bien que
mal, le groupe fait appel à deux nouveaux membres, Lionel
Lemarie au chant et Marc Perrier à la guitare. Rapidement ils
seront remplacés par un musicien plus complet, un certain
Michael Jones. Mais la tournée semble cependant mal
engagée. Jean-Alain n’appréciant guère la
décision de « Jean-Jacques », jette l’éponge.
Taï Phong se retrouve à la fois sans clavier et dans
l’impossibilité de trouver un musicien capable d’assimiler son
répertoire en peu de temps. La solution est d’engager plusieurs
claviers, chacun apprenant seulement deux ou trois titres. C’est donc
avec 6 claviers différents que le groupe part enfin en
tournée. Mais rapidement, cette solution temporaire un peu
bâtarde est abandonnée, un seul musicien, Pascal Wuthrich
viendra remplacer les 6 autres. Les concerts sont plutôt bien
accueillis. Le groupe se produit au milieu d’un décor de plantes
vertes où trônent deux immenses samouraïs, le tout
illuminé par un light show mis au point par Lang Ho Tong,
troisième larron de fratrie. Malheureusement rien ne se
déroule comme prévu. La tournée
d’été envisagée sur la côte atlantique est
abandonnée, le naufrage de l’Amoko Cadis ayant quelque peu
perturbé le projet. Autre souci, si Michael Jones est un bon
guitariste, au niveau vocal il n’arrive pas à la rotule de
« Jean-Jacques ». Bref, le groupe décide d’annuler
purement et simplement la tournée au bout de quelques dates
seulement. S’en est trop pour Taï qui préfère alors
tout arrêter. « Jean-Jacques » de son coté,
subit un nouvel échec avec son nouveau 45 tours « Les
nuits de solitude ». Il reprend donc la direction des studios
où il retrouve les nouveaux venus Michael Jones et Pascal
Wuthrich.
Taï Phong s’atèle donc à
l’écriture d’un nouvel album. Mais l’inspiration n’est pas au
rendez-vous et hormis deux singles « Back again / Cherry »
en 1978 et « Fed up / Shangaï casino » en 1979,
l’album tarde à sortir. Manifestement, le groupe se cherche et
ne parvient pas à renouer avec le succès de «
Sister Jane ». « Jean-Jacques » tente alors de
s’affirmer en sortant quelques 45 tours, en vain, sa tentative de
carrière solo reste au point mort. Seule production
significative du groupe à cette époque, l’enregistrement
d’un disque de démonstration pour le magasine Sono. Il faudra
attendre août 79 pour que Taï Phong sorte un nouvel album,
« Last Flight ». Mais la motivation des membres semble
émoussée. Khanh et « Jean-Jacques » sont
carrément absents sur certains titres, seul Stéphan
Caussarieu participera à tous les morceaux ! Le résultat
est des plus mitigé. La cohésion de « Windows
» a totalement disparue et « Last Flight » ressemble
plus à un collage de morceaux épars qu’à une
collection de titres unis en une même foi. Moins progressif et
plus rock, l’album possède néanmoins de bons moments mais
l’ensemble ne parvient pas à convaincre. Cette fois le groupe ne
s’en relèvera pas et se sépare en 1980. Khanh ouvre un
magasin de musique, Stéphan se lance en solo quant à
Michael après l’expérience « Week-end Millionnaire
» il retrouve « Jean-Jacques » lors de sa
tournée de 1983. Comment ? « Jean-Jacques » en
concert ? Mais comment est-ce possible ? Il semblerait que son nouveau
statu de star lui ait fait pousser des ailes ! A présent le
jeune homme jusqu’alors bloqué par l’idée de se produire
sur scène, s’assume pleinement, proposant même des shows
assez gigantesques ! Il n’en oublie pas moins ses anciens camarades et
propose même à Khanh, Stéphan et Pascal de les
rejoindre lui et Michael sur scène au Zénith pour
interpréter « Sister Jane » qu’il a inclus dans son
tour de chant.
Jean-Jacques, qu’il faut appeler maintenant Goldman, connaîtra
enfin la carrière que l’on connaît. Il viendra cependant
prêter sa voix sur une première tentative de renaissance
du groupe en 1986. Une renaissance avortée, malgré la
sortie du single « I'm your son ». Cependant plus de 20 ans
après « Last Flight » Taï Phong est de retour
avec l’album « Sun ». On retrouve Khanh bien sûr,
Stéphan et un nouveau chanteur Hervé Acosta. Michael
Jones a, quant à lui, décliné l’invitation ayant
déjà fort à faire avec Goldman. Si quelques
morceaux rappellent le rock progressif d’antan, le reste se veut plus
commercial et moins aventureux. Mal distribué, ne
bénéficiant d’aucune publicité « Sun »
restera en France un album confidentiel. « Sun » trouvera
néanmoins son public… au Japon ! Sans doute les fans nippons
sont-ils plus réceptifs à la musique de Taï Phong !
Aujourd’hui, si Goldman a su tirer son épingle du jeu, le groupe
semble en totale léthargie. Un beau gâchis pour ces
musiciens talentueux qui avaient su créer une musique de
qualité. Taï Phong avait tout pour devenir un grand groupe
et certainement l’un des seuls à pouvoir rivaliser avec leurs
cousins anglo-saxons sur leur propre terrain.
Alain 30/11/2008 17:09

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