Paris-Texas



Quand Travis réapparu 4 ans après, ce n’était plus que l’ombre d’un homme. Le regard fou, les yeux absents, marchant droit devant lui, vers ailleurs, vers nulle part. Et Ray Cooder égrainait ses notes somptueuses, inimitables…

Travis marchait. Toujours et encore... Au delà de l’épuisement à travers ce désert texan à l’horizon désespérément plat, sous ce soleil écrasant à la recherche de… Qu’importe à la recherche de quoi. Il marchait. Tel un grand échalas à l’allure d’automate, avec, vissé sur sa tête, une ridicule casquette rouge.. Rouge comme une larme sang… Peut être fuyait-il. Peut être. Peut être pas. Qu’importe, il marchait, Travis…

Quelque part plus loin, beaucoup plus loin, un enfant vivait sa vie d’enfant, dans son foyer middle class, oubliant un passé déjà trop lointain. A même pas 10 ans, la vie va très vite et le bonheur d’un jour efface momentanément les années d’avant. Les années de grâces, celles qui réunissaient trois êtres autour d’un même amour.

Pourtant, grâce à son frère, doucement Travis se reconstruit, recollant les pièces du puzzle de son histoire. Il redécouvre son nom, son fils, sa femme… et une certaine nostalgie du futur. Une nostalgie qui prend naissance à Paris, ce lieu si particulier où ses parents l’ont conçu il y a bien longtemps. Enfin revenu à une existence quasi normale Travis décide alors de retrouver dans ce road movie éblouissant celle qui fût la femme de sa vie. Débute alors un long périple à travers les USA à bord d’un pick-up déglingué avec Hunter, son fils retrouvé, qui n’a plus qu’une seule idée : rejoindre sa mère Jane et se réinventer cette famille qu’il n’a jamais réellement oubliée.





Cette histoire peut sembler simple, sans grand intérêt. Et d’une certaine façon elle l’est. Et c’est là toute sa magie. Elle nous présente des personnages ordinaires que les aléas de la vie ont menés vers des destins qu’ils n’avaient pas imaginés. Ca pourrait être votre histoire, mon histoire, l’histoire de votre voisin de palier, mais c’est celle de ces trois êtres que l’on découvre avec leurs non-dits, leurs secrets, leurs erreurs et leurs moments de bonheur. Loin d’être un récit intellectuel, ce récit est un voyage à travers une histoire d’amour déchirée sur fond de grands espaces américains, magnifiés par la caméra de Wim Wenders. Des grands espaces qui traduisent l’immensité de la passion de cet homme. Une passion belle et dévorante, grandiose et écrasante comme ces superbes paysages désertiques qui, par leur démesure, amplifient d’avantage la grandeur des sentiments. Tout n’est que contraste, comme l’ambiguïté des sentiments de Travis. Le désert rectiligne, horizontal, et Houston tout en vertical. Travis introverti, muet et Hunter petit gamin plein de vie et de joie. Tout n’est que jeu de lumières et de couleurs. Entre la chevelure blonde de Jane, le rouge fuchsia de son pull angora, le gris des gratte-ciel de Huston, la couleur exprime tout le panel des sentiments qui hantent cette histoire.

La lumière y est superbe apportant un éclairage d’une rare intensité à ces paysages sublimes que traversent les protagonistes. Mais elle se veut tout autant intimiste, presque inexistante lorsque Travis fait son introspection auprès de celle qu’il a voulu retrouver. Et là, la magie s’opère encore d’avantage lorsque derrière la glace sans teint de ce peep-show sordide d’une banlieue de Houston, il conte son histoire, leur histoire, et que son image se reflète à travers ce miroir où se dessinent les traits de Jane. Fabuleux jeu de miroir où se répondent ces deux visages séparés par cette vitre, ultime barrière à leur (im)possible réunion. Et toujours en toile de fond cette musique lente, entêtante, magique, qui accentue encore plus la beauté de chaque scène. Et l’on découvre petit à petit ces vies pleines d’amour, ces vies déchirées, ces vies déchirantes. Les yeux fous de Travis se transforment en regard de tendresse, d’admiration, de passion. Travis, homme discret, introverti, est simplement la pièce maîtresse de ce jeu de carte fragile. Il envahi l’écran de son omniprésence contenue. Alors que l’image filme un panorama époustouflant, on ne voit pourtant que lui. Il évolue sans rien dire et pourtant on ne fait que l’écouter. Son magnétisme nous captive, nous envoûte.





Bien au delà d’une histoire banale on se laisse happer par l’atmosphère lancinante et hypnotique de l’image, par cette ambiance lourde et chaude, où chaque mouvement est comme économisé pour ne garder que l’essentiel et offrir une unité de ton, une osmose totale entre l’histoire, la lumière, les paysages et la musique. Tout n’est qu’émotion et ressenti. Et lorsque la parole devient enfin l’élément prépondérant, tout le reste disparaît pour ne pas qu’on soit dérangé par quelques éléments extérieurs, afin de bien s’imprégner du récit poignant de Travis. Car après quatre ans de silence et d’errance, il a bien des choses à raconter Travis ! Oh on ne saura rien de ces quatre ans, mais on apprendra tout de ce qui a amené Travis, Jane et Hunter à se perdre et à se retrouver de nouveau. Enfin se retrouver, c’est beaucoup dire. Car Travis n’a en fait qu’un but : justifier son existence à travers l’amour avant de probablement repartir finir son errance à Paris… Paris-Texas bien sûr, un lieu perdu en plein milieu du désert texan.

Palme d’Or à Cannes en 1984, Paris-Texas fait partie de ces films qui marquent le spectateur à jamais, sans trop savoir pourquoi. L’histoire écrite par Sam Shepard n’a rien d’extraordinaire, mais les acteurs Harry Dean Stanton (Travis), Nastassja Kinski (Jane), Dean Stockwell (le frère de Travis) et Hunter Carson (Hunter) sous la caméra de Wim Wenders apportent à ce film une beauté et une émotion incroyable, que seules les histoires simples savent nous offrir.



© Alain Dukarski 05/02/2006


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