Folle indienne
Quarante huit kilos
Un mètre
cinquante-cinq. Quarante huit kilos. Juste un petit bout de femme. Une
femme menue, fragile... Et pourtant...
Et pourtant derrière cette
apparence fluette se cache une force
exceptionnelle, une rage unique. Sous cette fausse
fragilité bout un concentré de nitroglycérine dans
une mignonette de cristal. Cette femme vous ne la connaissez
probablement pas, vous ne l'avez sans doute jamais entendue, vous
n'imaginez même pas toute l'entendue de son talent. Car cette
femme là possède sans nul doute l'une des voix les plus
puissantes de ces quarante dernières années ! Mais je
vous sens septiques et dubitatifs. Si elle était effectivement
une chanteuse à voix exceptionnelle ça se saurait ! Oui
mais voilà, l'univers musical et poétique de cette femme
est loin, très loin, de la norme imposée par le show
business. En marge du star système, la jolie demoiselle, a
toujours préféré suivre les chemins de traverse
faisant fi des modes, toujours à
rebrousse poil. Pire
même, du haut de sa petite taille chétive, la belle
faisait peur, effrayait les médias, lesquels l'ont
boudée, préférant l'ignorer et encenser, à
la place, des interprètes bien plus conventionnelles,
plutôt que de laisser s'exprimer cette bombe incontrôlable.
Aussi, si ce boycotte des radios l'a sans aucun doute privé
d'une carrière retentissante et d'une légitime
reconnaissance, il lui a permis de conserver sa liberté de ton,
son autonomie créatrice. Car bien plus qu'une chanteuse unique
et atypique, la dame est une poète qui cisèle ses mots
avec une dextérité toute personnelle, une talentueuse
compositrice, une écorchée vive brandissant bien haut
l’étendard de la féminité révoltée
et rageuse.
C’est en 1971 que Béatrice Tékielski, nourrie d’une
double culture, polonaise du coté de son père et
italienne de coté de sa mère, arrive sur la scène
musicale française à tout juste 20 ans avec un premier
album « Je cherche un pays ». Introuvable
depuis des
lustres, je n‘ai jamais entendu un seul extrait de ce disque lequel,
d’après ce que j’en ai lu ici ou là, était
plutôt gentillet même si marqué post 68. Le jeune
Béatrice n’a pas encore su développer tout son talent…
Mais ce n’est que partie remise et la belle prendra son temps pour
peaufiner sa voix avant de revenir six ans plus tard avec
néanmoins en 72 la sortie d'un 45 tours « Résurrection/Femmes
d'argile ».
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Les années folles
 Et pour ce retour en
77, elle a décidé de frapper un grand coup.
Rebaptisée Mama Béa, plutôt que de caresser
l’auditeur dans le sens du poil avec un disque facile d’une quarantaine
de minutes réglementaires, elle déboule sans crier gare
avec un véritable ovni. Comme frustrée de n’avoir pu
s’exprimer pendant six ans, c’est directement un double album qu’elle
nous balance à la figure. Enigmatiquement intitulé
« La Folle », on s’aperçoit
dès le
début du premier morceau qu’on n’a pas affaire là
à une simple collection de petites chansons classiques et que le
titre choisi pour illustrer l’album n’est pas usurpé. C’est avec
un son de guitare peu habituel dans la chanson française d’alors
que « Le Préau » ouvre le bal. Un rythmique rock,
brute de fonderie, une basse assommante, un jeu de batterie explosif,
des claviers étourdissants, l’atmosphère est
lourde, pesante, explosive. Jamais personne n’avait osé offrir
un tel foisonnement musical jusqu’alors et il a fallu attendre
l’arrivé d’une petite femme de rien du tout pour enfin
découvrir pareille furie. Bien vite, la petit Béatrice
prend le micro et Dame Mama Béa apparaît ! Et là,
c’est la claque ! Sa voix puissante, rauque, précise nous slamme
ses premiers vers aiguisés comme des lames de rasoir pour mieux
trancher dans le vif de ses tourments. Les mots claquent dans un
débit halluciné et torturé pour une descente dans
l’enfer de la solitude et de l’amour. Là où certains se
contenteraient de chanter, Mama Béa, cri, hurle, déchire
la musique pour imposer sa douleur sur plus de six minutes
bouleversantes au possible. « Le vent » semble s’affirmer
plus calme avec son accompagnement à la guitare acoustique mais
la tempête gronde et sa voix puissante ne tarde pas à tout
envahir ! C’est un véritable cri puissant et douloureux qu’elle
pose sur ces délicates harmonies. « Le secret » peut
paraître soudainement plus conventionnel mais sa construction est
toujours aussi novatrice et étonnante, alliant puissance vocale
et musicale. Ces trois premiers titres qui forment la face A du premier
disque (on est à l’époque du 33 tours, ne l’oubliez pas)
s’ils surprennent, étonnent et séduisent ne sont qu’une
mise en bouche avant une suite qu’on est loin de soupçonner.
Celle-ci prend forme sur la face B avec « La mort musik ».
Et là, d’emblé, on est à des années
lumières de tout ce qu’on avait entendu jusqu’à ce jour.
« La mort musik » explose en 16 minutes toutes les normes,
brisent tous nos repères, pose les préceptes d’une
nouvelle écriture musicale et poétique. Mama Béa
pleure ses mots, va les chercher au fond de ses tripes pour nous les
recracher de façon inouïe sans fioritures, magnifiques et
tourmentés. Elle nous glace le sang, nous bouscule, nous assomme
comme autant de coup de poings dans la gueule… Nous laisse sans voix…
Elle ne chante plus, elle ne parle pas… Elle est tout simplement
là, là à expulser ses mots, ses cris. Bien avant
tous les slammeurs, elle scande ses émotions, ses craintes, ses
révoltes. Superbe, puissante (je sais je me
répète), déstabilisante, effrayante… Quant
à la musique c’est un véritable laboratoire
d’expérimentations qui fini en un feu nourri
d’électricité sauvage… Du jamais entendu !
Deuxième disque, face A, seule à la guitare, elle chante
« Les pissenlits ». Minimaliste, ce titre déchirant
au possible, laisse la part belle au chant et l’on découvre tout
l’immense panel de son timbre de voix, lourd comme un rouleau
compresseur, léger comme une plume balayée par le vent.
Elle poursuit avec un titre toujours plus déchirant et
désabusé « L’enfant » d’une beauté
incroyable où face aux tourments du monde elle renonce à
son envie de maternité… « Dès qu’on aura beau temps
je ferai un enfant… ». Retour à un rock plus
carré
avec « les Clowns », dans lequel elle exprime à
merveille combien déjà elle fait peur dans le microcosme
de la variété. Disque 2, face B ! Attention, « La
folle » arrive ! Poignant et grave ce titre est l’un des plus
torturés de la chanson française. Tendre,
émouvant, touchant, poignant, nous partons à la rencontre
de cette femme tourmentée. La voix de Mama Béa exprime
avec justesse toute la souffrance de cette folle que l’on croise sans
jamais vraiment la voir… Superbe et troublant. Neuvième et
dernier titre, « Visages » pose un regard
désabusé sur l’indifférence d’une manière
subtile et plutôt reposé au regard du reste de l’album.
« Millions de visages, Se
croisent et s'entrecroisent, Nous
marchons côte à côte, Ne faisons que passer... Nous
sommes d'étranges frères, D'étranges
frères... étrangers... » Avec « La Folle », Mama Béa
s’affirme d’ores et
déjà comme
une artiste unique, une écorchée vive,
généreuse, insurgée, rebelle, anticonformiste,
touchante et novatrice.
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La même
année, Mama Béa revient avec « Faudrait rallumer la lumière
dans ce foutu compartiment ».
Le premier titre « La Clé » s’il poursuit
l’orientation musicale de « La Folle » apporte de nouveaux
éléments comme l’arrivée de percussions. Et si
l‘ensemble semble plus accessible, toutes proportions gardées,
il ne renie en rien son prédécesseur et offre un rock
toujours aussi (d)étonnant sur un texte écrit avec
justesse précision où Mama Béa s’interroge sur le
monde dans lequel elle vit et dont elle ne comprend pas le sens de la
violence qui y règne. « La fenêtre », plus
calme, n’en reste pas moins très poignant et dramatique avec sa
façon si particulière de parler de la séparation.
Mama Béa sort ensuite son canon pour tirer à boulet rouge
sur les bourgeois dans « Le fils du Roi ». Puis elle
s’interroge sur « La vie » avec, en écho musical,
cette façon si particulière d’orchestrer chaque morceau.
Un étrange mélange de rock, de groove, de blues qui
souligne cette voix chaude, rauque et perçante à la fois.
Et Mama Béa vient encore nous étonner avec «
Quarante-huit kilos » où la musique se tait, laissant
place à un monologue poétique récité avec
force et conviction. Comme quoi ses mots se suffisent à eux
même et n’ont besoin d’aucun artifice pour exprimer ce qu’ils ont
à dire. « Les mots » justement est le titre du
morceau suivant, dans la même veine musicale que les
précédents, où en peu de mots justement, laissant
la musique et ses délires vocaux prendre le dessus, elle
dénonce toute la difficulté de la communication. Le
dernier titre nous renvoie directement à l’album
précédent et plus précisément à
« La Mort Musik » tant il reprend le même type de
construction. Des phases musicales qu’elle souligne de cris et de
murmures entrecoupées d’un slam plaintif et violent. Un
phrasé qui n’appartient qu’à elle et dont elle a le
secret. « Poussières » est un de ces titres qui
viennent nous chercher au plus profond de nous pour nous soutirer des
émotions inexplicables d’une force insoupçonnée.
On ne sort pas indemne d’une chanson pareille. Mama Béa nous
aspire le cœur. Elle nous gangrène de l’intérieur, nous
martèle l’intellect pour mieux nous faire réagir à
ses interrogations, à ses colères, à ses
démons autant qu’à sa tendresse et son amour…
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Ce qui frappe
dès les premières notes de « Pour un
bébé Robot »
qui sort en 1978, c’est le son de
l’album. Manifestement, Mama Béa a eu le droit pour la
première fois, à une production particulièrement
soignée. Autant les disques précédents
possédaient un coté bricolo qui en faisaient tout leur
charme, autant celui-ci fait preuve d’une maîtrise parfaite. Les
instruments claquent, la voix est judicieusement posée, bref un
vrai travail de pro que l’on réserve généralement
aux grands noms de la chanson. Même la pochette où l’on
voit son joli minois souriant, elle a d’ailleurs taillé ses
longs cheveux pour arborer une coupe pleine de frisotis, est digne
d’une artiste établie et respectée. Mama Béa
serait-elle enfin reconnue par ses pairs ? Serait-elle enfin devenue
fréquentable ? Rien de moins sûr. Pour preuve «
Faire éclater cette ville » qui ouvre l’album est un
véritable appel à l’insurrection urbaine !
L’atmosphère est inquiétante… La violence plane sur les
couplets tandis qu’une guitare assassine tranche le refrain. Efficace
et rock ! Un rythme plus lancinant berce « Soleils ».
Pourtant à y regarder de plus près, la tension est
là, bien palpable et les mots de Mama Béa sont bel et
bien d’une violence incroyable. « Tu t'en iras » poursuit
la même veine rock avec cette voix sublimement portée qui
résonne de façon incroyable pour un discours critique
acerbe sur la lâcheté de soi. Légère semble
être « Les glycines ». Une jolie ballade bien
innocente qui monte crescendo pour nous avertir sur ce qui deviendra
bien années plus tard le conflit nord-sud. Au lendemain du 11
septembre, ces paroles glacent le sang tant elles semblent visionnaires
! Même constat avec « Ballade pour un bébé
robot », sorte de berceuse futuriste pour
générations à venir. Le morceau superbement
construit termine en un long souffle de désespoir. Frissons
garantis ! Mama Béa nous revient juste après avec «
Le bistrot » où sous couvert d’un dialogue entre deux
consommateurs alcoolisés, elle dénonce l’inaction des
nantis pour venir en aide aux minorités quelles qu’elles soient.
Un texte intelligent et provocateur qui ne peut qu’interpeler. Fin du
voyage avec « Pourquoi tu cries ? ». Et la question est
judicieusement posée. Un titre quasiment dansant qui
s’achève sur un véritable cri de plusieurs minutes,
uniquement accompagné d’une batterie. Et quel cri ! Mama
Béa hurle, vomis son « chant » puissant
jusqu’à l’épuisement, jusqu’à l’insoutenable. Du
jamais entendu ! Du jamais enregistré ! Une véritable
folie qui nous envahi les oreilles, qui frappe dans notre crane.
Difficile, à vrai dire, d’écouter ce titre jusqu’au bout,
tant il est déstabilisant, dérangeant. Alors oui, cet
album est sans doute le mieux produit de Mama Béa, mais elle a
su rester intègre, sans faire de concession profitant à
fond de l’opportunité qui lui était offerte pour nous
concocter un album parfait de bout en bout.

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Courant 79, le mystique album
« La folle »
ressort
en version 6 titres "Visages" remixés, amputé
de trois superbes titres « Le Préau »,
« Les
Clowns » et surtout « La mort-Musik ». L’expérience de «
Pour un bébé
Robot » n’a pas forcément été bien
vécue par Mama Béa. En lisant la pochette du nouvel album
de 1979, « Le Chaos », on s’aperçoit
bien vite
qu’elle n’apprécie pas beaucoup la main mise de quelques «
ingénieurs du son despotiques » et autres «
arrangeurs » sur sa création musicale. C’est donc avec un
enregistrement stéréo direct sur « Master 2 pistes
» sans re-recording, sans re-mixage que Mama Béa nous
revient avec ses musiciens pour un album réalisé dans les
conditions d’un live. De fait le son gagne en fraîcheur. Il est
moins lissé que sur l’album précédent, plus
percutant, plus direct et se marrie à merveille avec l’univers
de Mama Béa. Et c’est avec « Le chaos, titre phare de 14
minutes que débute l’album. Une fois encore Mama Béa
innove, surprend, prend l’auditeur à rebrousse poil pour
l’embarquer dans un long délire musical et vocal extraordinaire.
Prenant pour prétexte le thème de l’évolution,
elle frappe tout azimut sur les travers de l’humanité allant
jusqu’à scander la déclaration des droits de l’homme avec
rage et violence qui fini en une bouillie vocale somptueuse. Le
résultat est époustouflant. « Le chaos »
pulse comme jamais, ça rock et ça rauque de bout en bout
! Un grand moment. Véritable hymne écolo « Comptine
pour l'an 2000 » tranche quelque peu avec « Le Chaos
» pour son côté comptine justement. Mais le message
est loin d’être anodin, bien au contraire. Le rock repend ses
droits sur « Les autres » long pamphlet sur le droit
à la différence. « Elle habite au fond des mers
» débute sur un rythme enlevé avant de s’adoucir le
temps d’un couplet et repartir de plus belle au pont musical suivant.
Un texte sur la liberté, comme à l’accoutumé,
magnifiquement écrit. Mama Béa règle ensuite ses
comptes avec « The voisin ». Sur un rock des plus efficaces
elle dégaine ses verbes pour tirer sur tous ceux qui
manifestement lui ont fait quelques misères. C’est avec les
désillusions d’une vie de couple gâchée que
s’achève l’album avec la superbe « Maison sur Vénus
». Troublant et déchirant. Avec « Le Chaos »,
Mama Béa réalise une fois de plus un album parfait, sans
faille, fidèle à son image. Dommage qu’elle fasse si peur…

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La mal aimée
Car c’est bien tout
le problème de Mama Béa ! Ce petit bout de femme d’un
mètre cinquante-cinq fait peur ! Trop indépendante, trop
grande gueule, trop différente, trop directe, pas assez glamour,
cette femme n’a rien à faire dans le milieu propret du show-biz.
Du coup plutôt que de rentrer dans le rang, elle
préfère enfoncer le clou et sort en 1980 « Par peur
de vous ». Le message est clair, pas question de lui marcher sur les pieds !
Dans « Super-Carré » elle décrit la vie
mouvementée de « rock-star » qu’elle n’est pas.
Cruelle désillusion d’un quotidien fait de concerts dans des
salles minables, de kilomètres en camion pourave, de
promiscuité et de galères en tous genres. La rage atteint
son paroxysme avec la rage de « Dans la vitrine ». « Regardez Maman, Papa, votre super-super
nana, qui grâce a
tous vos bienfaits, se débat dans son merdier, Y'a des
rêves sous sa jupe, à faire rougir une pute, Y'a la peur
et puis la rage, qui se battent contre une image… Regardez dans la
vitrine, Papa, maman votre infirme !!! » Sans commentaire.
Petite
pause légère, en apparence, avec « Naphtaline
» et son autocritique amusante. « L'artiste » est un
slam percutant dont Mama Béa a le secret sur le décalage
et l’incompréhension entre l’artiste et son «
admirateur ». Deux discours radicalement différents, deux
visions antagonistes. Deux mondes. « Matin » se laisse
écouter sans être un grand moment. « Quai d'la
gloire » est désespérément déprimant,
quant à « Y'avait rien à dire » il ne
parvient pas réellement à convaincre, plus à cause
de la musique que du texte en fait. Rien à voir avec « Mon
Cul », provocateur où Mama Béa, une nouvelle fois,
disserte sur sa condition d’artiste. « Soixante-huitarde »
pose un œil critique sur un passé pas si lointain. Après
les 4 derniers albums, il faut bien avouer que ce « Par peur de
vous » déçoit un peu. Certes, la plume de Mama
Béa est toujours aussi pertinente mais musicalement elle ne se
met plus vraiment en danger et propose des compositions assez fades
nettement moins aventureuses et bien plus accessibles. Les titres sont
assez courts et manquent de relief. Dommage. Sans doute Mama Béa
est-elle un peu lasse d’être le mouton noir du rock
français. Malheureusement, ses fans de la première heure
ne comprendront pas ce changement de cap musical, un cap que ne
franchira pas non plus le grand public. Mama Béa est dans une
impasse. A la même époque le magazine "Parôles et musiques" dans son
numéro 5 de 1980 propose une compilation 8 titres recouvrant
l'époque allant de "La Folle"
au "Chaos".

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Elle récidive
néanmoins l’année suivante avec
« Aux alentours d'après minuit
» qui sort en 1981.
Et là, trois fois hélas, force est de constater qu’on
s’éloigne toujours d’avantage des années folles. Cette
relative déception - relative car si cet album peut
décevoir les aficionados de la première heure il
possède néanmoins une certaine tenu et se situe largement
au dessus de la production musicale française de l’époque
– cette déception donc, tient plus de l’approche musicale que de
la qualité des textes de Mama Béa. Depuis ‘La folle
», elle nous avait habitués à des compositions
réellement étonnantes et personnelles assez audacieuses
et inédites. Là, son rock est beaucoup plus
conventionnel, presque académique oserais-je dire. Du coup il
manque cette petite étincelle qui fait toute la
différence. Parallèlement sa plume est plus personnelle.
On découvre une Mama Béa plus intimiste qui
n’hésite plus à se dévoiler. On ressent d’avantage
ses doutes, ses angoisses du quotidien. « Après minuit
» démarre de façon très rock, «
Josiane » est plus intimiste. « Compte à rebours
» conte le quotidien d’une « femelle humanoïde en
plein stress ». Petit voyage côté blues avec «
Le mec de Nazareth ». Retour au rock introspectif avec «
Crazy mama ». Même ambiance sur « Lobotomie »
avant le superbe « Raconte-moi mon histoire » et le
très eighties mais non moins sympathique « Flash-back
». « Lettre à un fan » est un grand cri
d’amour poignant où Mama Béa demande juste d’être
aimé et non d’être une idole. Enfin le très peu
convaincant « Quand je chante » clôt cet album certes
en demi teinte mais qui nous réserve néanmoins de bons
moments.
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Dans l’ombre d'Edith



« Où vont les stars » sort en
82 avec une pochette
qui nous laisse sans voix. La rebelle a troqué son non-look
habituel pour une tenue surprenante ! Plumes, fume cigarette, nouvelle
coupe, maquillage glamour, la frêle Béatrice se la joue
star !!! Voilà qui n’est pas très rassurant. Coté
musique, en toute honnêteté je ne pourrai me prononcer,
n’ayant jamais entendu le moindre extrait de cet album ! Mais je ne
demande qu’à le découvrir ! Donc si quelqu’un a cet album
dans sa discothèque, qu’il pense à moi ! D’après
le peu de critiques lues ici ou là, « Où vont les
stars » serait un disque très conventionnel plutôt
fleur bleue assez éloigné de ses productions habituelles.
Parallèlement Mama Béa devient la voix d’Edith Piaf dans
le film de Claude Lelouch « Edith et Marcel », prouvant sil
en était encore besoin que Mama Béa est l’une des plus
belles et des plus puissantes de la scène rock française.
Un album ainis qu'un 45 tours immortaliseront en 83 cette
expérience qui,
malheureusement, ne servira en rien sa carrière. Un nouveau 45
tours
« Survivants/Mes chansons
d'amour » voit le jour en 1984
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Le syndrome des 80's
 Trois années
sépareront la
réincarnation vocale de
Piaf et le nouvel album « La Différence » qui
sort
donc en 86. « Les seigneurs de la nuit » qui ouvre l’album
donne de suite la couleur de l’album. Un son très dans son
époque (trop ?), plein de synthétiseurs, de percussions
électroniques, bien propre. Mais Mama Béa n’y perd pas
son âme et dès qu’elle pousse la vocalise on retrouve la
grande dame. Enfin presque. Car si on retrouve ses intonations, son
timbre semble plus grave, plus réservé. Et pour cause, si
Mama Béa chante de fort belle manière en revanche, elle
ne cri plus ! Cette impression n’est pas nouvelle, elle date de l’album
« Par peur de vous ». Depuis le début des
années 80, Mama Béa semble avoir tiré un trait sur
ses impressionnantes performances vocales qui étaient comme sa
marque de fabrique depuis « La
Folle ». L’esprit 80’s
perdure avec « La diva des bas-fonds » même si ce
titre reste un bon moment rock. « Cinémas » souffre
du même syndrome avec une batterie monolithique un peu trop
envahissante. « La différence » est un constat amer
sur la désaffection de son public où elle nous avoue
qu’elle préférait quand elle était folle et
qu’à présent « Je ne vous aime plus ».
Triste. Pourtant elle revient juste après avec « Aime-moi
». Le rythme de « Barcelone la nuit » est clairement
rock même si, là encore, la production made in 80’s
gâche un peu l’ensemble. L’intro de « De l’autre
coté » ne prévoit rien de bien meilleur tant ce
titre est bourré de gimmicks électroniques. «
By’n’by » est un nouveau slam poignant, rien à voir avec
les 40 secondes à peine de « Carbone » où,
à capella, Mama Béa achève ce voyage.
Malgré les reproches qu’on peut lui faire, notamment à
cause d’une production trop typée, cet album reste un bon
moment. A noter qu'une réédition propose une pochette
radicalement différente de l'originale. On retrouve Mama
Béa en 87 sur un album live enregistré aux Francofolies
de la Rochelle intitulé "La
fête à Ferré" en compagnie d'autres
interprètes.

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Pour l’album
suivant qui sort en 88, la folle du rock français retrouve son
patronyme abandonné depuis « Le Chaos ». Sur la
pochette de « Violemment la tendresse » on
peut relire en
effet « Mama Béa Tekielski ». Tout laisse penser
à un retour aux origines, au son brut, à ses cris de
rage… Mais dès « Dis où tu vas » nos
illusions s’effondrent. Ce nouvel album semble être la copie
conforme de « La Différence ». Cependant on se
laisse embarquer plutôt agréablement par ce premier titre.
Même impression avec « Les gens ». Belle surprise en
revanche que « Dis-le moi » où Mama Béa sur
un rythme cuivré hypnotique renoue avec un certain jeu de voix,
entre rap et cri étouffé. Le titre suivant « Elle
disait » est quant à lui tout simplement superbe.
Même si le son années 80 est toujours d’actualité,
les mots et la mélodie se marient à merveille pour une
longue plainte douloureuse. C’est avec un cri puissant mais assez bref
que débute « Au s'cours l'amour » autre moment fort
de cet album riche en surprises. Et ce n’est pas « Lily »
qui me démentira ! Certainement l’un des meilleurs titres de
cette décennie finissante. « Blues-moi » nous
renvoie 10 ans en arrière avec ce son brut et pur, juste une
guitare et cette voix impressionnante comme jamais ! Bien plus actuel
est « Crocodile » quant à « Jamais je dors
» il renoue avec une écriture musicale simple et efficace
pour un moment d’émotion pure et magique. Et pour conclure,
« Les yeux de l'amour » prend son temps pour
dévoiler toutes sa beauté. Au final, « Violemment
la tendresse » s’avère être un très bon album
où Mama Béa ose quelques audaces du meilleur cru.

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« No woman’s land » paraît en
89. Il débute
avec « Hannah » sorte d’hymne écolo intelligent
écrit par une plume aussi précise qu’incisive. Vient le
titre générique, un blues moderne dont on regrettera
juste certaines sonorités trop marquées années 80.
Si le titre suivant « Romy » se veut être un hommage
à Romy Schneider prématurément défunte, le
résultat ne séduit guère tant ce titre sort du
registre habituel de Mama Béa. Ceci dit, elle réussi
à s’en sortir honorablement grâce à une
interprétation toute en retenue. Bien plus poignant est «
Camille » et son sujet difficile qu’est la souffrance d’une
enfant malade et des adultes désarmés. La solitude de la
vieillesse, la nostalgie parsème le somptueux « Les
cheveux d'argent », tout en tendresse… « Tu chantais 'Je
l'aime à mourir' » souffre d’une composition trop
légère à mon sens un peu trop en décalage
avec le thème abordé. En d’autres temps, Mama Béa
nous auraient sans doute offert plus de hargne. Le rock reprend ses
droits avec « Maman, j'ai peur » et sa critique de la
modernité. Dans « Arthur » elle s’excuse presque
mais se justifie de n’être tombé qu’un peu tard sous le
charme de Rimbaud, pour enfin pouvoir lui dire toute la passion qu’elle
lui voue. Un titre fort superbement écrit. « 1692 »
est une sorte de psaume récité avec force et conviction,
un rien désabusé malgré son message optimiste
décalé. L’album se termine par une reprise de Léo
Ferré « Les anarchistes » et de Danièle
Messiah « De la main gauche ». Certes, Mama Béa est
toujours présente et nous propose là un album fort
agréable, bien qu’inégal, mais elle semble
néanmoins avoir tiré définitivement un trait sur
ce qui a fait sa légende. Quoi qu’il en soit, on ne peut lui
reprocher de vouloir coller à la mode et cet album nous offre
son lot d’émotions. En revanche la pochette est
particulièrement à chier !!!!!

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Le grand silence
 
Le début des années 90 marque une pause dans la
carrière de Mama Béa. Il faudra attendre 94, et encore
seulement via le biais d’une compilation couvrant la
période
76-81 pour avoir de ses nouvelles sans doute pour promouvoir son
prochain album « Du
coté de chez Léo » qui
sortira en 95. Composé essentiellement de reprises de
Léo Ferré, à qui elle voue une admiration sans
faille, l’album est une belle surprise. Bien entendu les textes de
Ferré y sont pour beaucoup mais ce serait oublier un peu vite
l’interprétation qu’en fait Mama Béa. Elle se
réapproprie les mots de Léo sans les dénaturer,
leur apportant même un nouvel écho à travers la
réorchestration qu’elle propose. Car l’ensemble est musicalement
une grande réussite. Mama Béa a enfin remisé les
références trop estampillées années 80 pour
un rock direct et souvent musclé. Une belle parenthèse.
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Toujours vivante !

C’est en 98 que sort le dernier album studio de la Dame «
Indienne ». Et cette « Indienne » là, est de
toute beauté. C’est avec un blues « Black rain »
qu’elle ouvre le bal, chanté en partie en anglais ! Une
première ! Mais ne vous y trompez pas, elle n’a pas
décidé de changer son fusil d’épaule et le
français reste sa langue de prédilection. Un titre au
faux air acoustique, toute en délicatesse comme le suivant
« Petits dieux fragiles » subliment chanté, sans
excès, avec précision et retenu. « Nana »
fragile et affectueux se veut être une belle leçon
d’autodérision sur les petits travers des femmes. Les hommes
apprécieront, les femmes se reconnaitront ! Mama Béa
pousse un plus la voix sur « Elise » sans toute fois
devenir fracassante pour un titre fort et poignant. Toujours
féministe, elle nous dessine une « Indienne » avec
justesse et force. Un texte sublime, écrit avec toute la
sensibilité qu’on lui connaît. Toujours autant de retenu
sur « Dis, Maman » ou la détresse d’un enfant face
à la déchéance de sa mère aimée.
Beau et émouvant. Grand moment que « La tchache »
moitié rock moitié rap pour un voyage dans les quartiers
ouvriers de son enfance. Et non braves lecteurs, la misère n’est
pas l’apanage des banlieues modernes. Et Mama Béa persiste dans
le blues sur « Y a une rue ». L’émotion est toujours
au rendez vous lorsqu’elle chante « L'Ambre de Pologne »
qui revisite ses origines italo-polonaises. Entre polka et ambiance
napolitaine… Grandiose ! Plus rock se veut « Le Voyageur »,
un voyageur qui manifestement a bouleversé le cœur de Mama
Béa. Une histoire d’amour écrite à la
première personne ! L’émotion est à son comble sur
« Les gens de Sophoras » où l’on découvre
qu’en plus d’être une fleur, Sophora est également une
clinique spécialisée en psychiatrie. Petit virage reggae
pour finir avec « Je vais, je vais », sympathique. Album de
la résurrection ou ultime chant du cygne ? Toujours est-il que
depuis Mama Béa a semblé avoir remisé sa guitare
et c’est bien dommage. « Indienne
» est un grand disque,
riche, somptueux, sobrement réalisé qui sonne de la plus
belle manière qu’il soit. On y retrouve toute la verve de Mama
Béa en toute simplicité. Un album intemporel qui date
malheureusement déjà de 10 ans.

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Depuis ? Depuis internet est
passé par là. Les fans se sont mobilisés pour lui
dire combien ils l’aimaient, combien elle leur manquait. Alors
Mama Béa a réalisé à quel point son public
lui était fidèle. Pour le remercier de cette
fidélité sans faille elle se propose depuis quelques
temps de vendre quelques uns de ses albums sur son propre site. Pas
tous malheureusement. Certains semblent à jamais disparus. Mais
qui sait, peut être la technologie et quelques bonnes
volontés permettront-ils de redonner une seconde vie à
une discographie unique. En attendant de nouvelles aventures, un live
de 89 ainsi qu’un DVD viennent compléter plus de 30 ans de
création
artistique. Ces deux enregistrements ont fait l'objet de mon dernier
cadeau d'anniversaire. Directement commandés sur le site de Mama
Béa, les deux m’ont été personnellement
dédicacés par la propre main de la Folle indienne, comme
en témoigne l’image ci-dessous. N’ayant jamais vu la dame sur
scène, je me suis de suite jeté sur le DVD. Je ne vais
pas vous mentir en vous disant que c’est la meilleure vidéo de
concert que je n’ai jamais vue, cela serait un rien
exagéré. Les prises de vue sont basiques, la
réalisation spartiate, les lumières sont ce qu’elles
sont. Le tout tient plus du bricolage que de la production haute
définition, mais qu’importe. Mama Béa est là,
s’excusant presque de devoir chanter ses chansons. Pourtant dès
qu’elle s’approche du micro, dès qu’elle prend sa guitare, plus
rien ne l’arrête. La voix est intacte, rageuse, pleine d’amour,
de rancœur, de passion… Le groupe est quant à lui réduit
à sa plus simple expression. Un batteur, un
claviériste-guitariste. Minimaliste donc. Pourtant le
résultat est à la hauteur de nos attentes. Mama
Béa va directement à l’essentiel, partageant avec le
public ses coups de gueules, ses coups de cœur, sans concession, avec
sincérité émotion et humour. Quand au CD, il
reprend les mêmes titres mais avec un son nettement plus correct.
L’album fait la part belle aux années 80 sans pour autant
oublier ses titres phares comme « La Folle », « La
Fenêtre », « Visages » ou encore « Les
mots ». J’aurais aimé un « Chaos » mais bon,
Béatrice nous offre l’exclusivité d’un inédit
« Djibouti ». Dommage que les bonus soient si pauvres
certainement à cause du peu d’intérêt que les
médias ont témoigné envers cette femme formidable.
Bref si ce n’est pas la vidéo du siècle, c’est un beau
témoignage d’une artiste unique qui manque cruellement dans
paysage musical français.
Mama Béa, reviens ! Vite
!!!!!!! On t'aime !
Alain/So Sad 14/04/2008 15h51 & 14/09/208 21h04
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