Juliette et ses merveilles



Exit les guitares électriques saturées, les batteries tonitruantes, les riffs rock’n’rolliens !

Aujourd’hui je vous invite à découvrir le dernier opus d’une femme hors du commun qui ressemble pourtant trait pour trait à votre voisine de palier. La quarantaine sans artifice, un physique enrobé, une bouille ronde et frisée, cachée derrière de grosses lunettes, la dame n’a rien d’un top model. Loin de là ! Et elle s’en fout d’ailleurs. Là n’est pas son propos. Elle, son truc, c’est la musique. La musique et les chansons. Alors elle écrit et compose. Toute seule. Sans faire de bruit… Discrètement, mais avec quel talent !
 
De ses influences musicales, Ravel, Zappa, Bowie, Trenet, Amilia Rodriguez elle crée son propre univers, mélange subtile de rythmes brésiliens mâtinés de nuances nord-africaines et de références à la chanson française de la grande époque des chansonniers. De ses lectures favorites Garcia Marquez, Terry Pratchett, Maupassant, la Contesse de Ségur, elle nous offre cette écriture qui est sienne, précise, efficace et poétique. Et si elle revendique sa passion pour les Tontons Flingueurs, le Seigneur des Anneaux ou pour l’œuvre de Tim Burton, c’est pour mieux nous surprendre ! Tous ces éléments s’ajoutent et Juliette se les approprie pour nous offrir ces petites tranches de vie, ces moments d’existence qui jalonnent avec bonheur les histoires qu’elle nous conte. Mariant tous les styles musicaux avec une dextérité sans pareil, elle chante selon son humeur, ses propres textes oscillant entre simplisme et complexité ardue sans jamais être stupides et encore mois innocents.
 
Alors venez découvrir ce monde d’accordéon, de guitare acoustique, du piano et cette voix puissante et unique qui font de Juliette Noureddine une grande Dame de la chanson, en plus d’être une musicienne et une poète confirmée. Respect et admiration.

 


L’affaire commence par une version toute personnelle du mythe de Circé. Une atmosphère lourde et étouffante, où la divine magicienne transforme l’humanité tout entière en ce qu’elle a de plus animal. Les mots s’enchaînent avec minutie et subtilité pour nous peindre une caricature ciselée du miroir de l’être humain. L’art de faire du cochon !
 
« Sois aveugle et sois sourd
Et mène en sacrifice
La pitié et l’amour… »
« Le sort de Circé »
 
Inspiré par le roman de Fernando Vallejo « La Vierge des tueurs », Les Garçons de son quartier prennent la suite dans un climat plus festif, une sorte de rumba endiablée aux accents sud-américains. Mais la légèreté musicale cache une vérité urbaine des plus dramatiques. Un portait tout en tendresse d’une favela quelque part dans les faubourgs d’une métropole livrée à la violence quotidienne, à la guerre des gangs, au trafic de drogue. Stupéfiant !
 
«Ils ont le regard dur
Dans de grands yeux de faon
Une arme à la ceinture
Et des gestes d’enfants »
« Les garçons de mon quartier »
 
Retour dans les beaux quartiers, mais coté coulisses. Sur un rythme endiablé, une petite bonne se démène entre les ordres incessants d’une Madame De qui use et abuse d’une Maudite Clochette omniprésente. Une clochette qui peu à peu nous entête, nous énerve, nous torture, jusqu’au point de non retour. On se laisse embarquer dans la folie de ce quotidien dramatiquement linéaire, accompagnant chaque fait et geste de cette petite bonne au bord de la crise de nerf !
 
« L’âme humiliée je ne suis personne
Qu’une domestique que l’on sonne »
« Maudite Clochette »
 
L’aventure se poursuit avec le Congrès des Chérubins ! Un hommage farfelu aux rondeurs graciles de ces petits angelots fessus, omniprésents sur les tableaux baroques. Là tout n’est que formes généreuses, fesses boudinettes, bonnes joues, bedons et bedaines. Les angelots rondouillards de Raphaël côtoient le Manneken-Piss  au milieu de gargouilles et autres cupidons bien en chair. Une féerie de volupté rondement menée, toute en joie et plaisir. Venez vous êtes invités à l’orgie des petits puttini dans cette chapelle Florentine!
 
«Fanfarons, fripons trublions
Tétons mignons, bedons trognons
Chantons le gai rigaudon
La chanson des gros cupidons »
« Le Congrès des Chérubins »

En voiture !!!!! Assise dans le compartiment d’un train d’enfer, elle regarde la vie qui avance à reculons. Tout va très vite, mais quoi ? Il s’est passé quelque chose, c’est certain, mais quoi ? L’angoisse avance, de plus en plus rapidement. Comment savoir ce qu’il se passe dehors alors qu’elle est là bloquée dans ce train ? Elle suppute, imagine, mais ne sait rien. La peur monte doucement, mais sûrement…. Et moins elle sait plus elle s’effraie…Un sentiment oppressant nous gagne à l’écoute de cette curieuse chanson qui rappelle la « Locomotive d’Or » de Nougaro avec son rythme ferroviaire accentué par l’emploi de samples et de bruits en tous genres. On pense aussi naturellement à « Il y avait une ville » toujours de Nougaro dont elle revendique sa passion. Après tout ils sont tous deux de Toulouse. Il s’est passé quelque chose…
 
« Maintenant c’est une foule
Qui décampe sans raison
Et fuit quoi je n’en sais rien
Et toujours ce train qui roule »
« Il s’est passé quelque chose »
 
Un jour une lettre oubliée… La lettre déchirante d’un amant sur le front en 14-18 à jamais enfoui dans la mémoire. Mais qui donc était-ce que cet homme si charmant ?  Une déclaration d’amour poignante et tragique chantée en duo avec Guillaume Depardieu. Frissons et larmes garantis !
 
«Sur ces pages abîmées
Il manque l’ultime morsure
La certitude affirmée
D’une simple signature »
« Une lettre oubliée »
 
Une atmosphère arabisante pour l’ivresse d’Abhu-Nawas. Un jeu de couleur où se fondent le désir, la tendresse et le désespoir. Un texte tout en subtilité, tout en nuances colorées, un merveilleux mélange d’ivoire, de carmin et d’ébène. Un éclat de lumière méditerranéenne qui sombre dans une noirceur désespérante des plus somptueuses.
 
« Pourquoi passes-tu sans me voir
Alors que je consens à me livrer
Entre tes mains aux doigts d’ivoire
A te faire don de ma liberté ? »
« L’ivresse d’Abhu-Nawas »
 

Une cheminée à l’âtre, un couple… L’hésitation, la timidité… Le feu magnifie ce que ces amants ne savent oser s’offrir. Dans ces braises d’amour, la chaude passion qui les habite danse un tango enfiévré. Cupidon et Vulcain s’associent en malicieux feux follets pour réveiller en eux le démon des désirs embrasés… Jusqu’à ce que… Chaud devant !!!!
 
« Le regard qui enjôle
Les silences troublants
Craignant la main qui frôle
Et l’espérant pourtant »
« Le brasier »
 
Construit à partir d’une discussion imaginaire entre Georges Sand et Alfred de Musset François Morel, le François Morel des Deschiens, vient donner la réplique dans ce duo des plus délirants. Sous l’aspect d’une musique légère, un texte on ne peut plus détonnant ! Un long échange d’insultes courtoises et savoureuses qui s’en va crescendo tout en jeux de mots subtiles. Poussez pas mémère dans les orties, Monsieur le maire attend !
 
« Ce QI de pétoncle
Viendrait-il de votre oncle
Sait-il votre tonton
Que sa nièce est un thon ? »
« Mémère dans les orties »
 
Accompagné par le Concert Impromptu, la Dame chante Baudelaire et son Franciscae meae laudes (Louanges à ma Françoise, poème en Latin). Un très beau voyage musical qui commence par une sorte de madrigal léger pour aboutir sur une bossa brésilienne ! Etonnant ! La dame y donne de la voix comme jamais, des doges de Venise au sable de Rio de Janeiro !
 
« Meos circa lumbos mica,
O castitatis lorica,
Aqua tincta seraphica »*
« Franciscae meae laudes »
 
*« Ondule à l'entour de mes reins,
Ô ceinture de chasteté,
Mouillée par une eau séraphique »

 
Pour finir un pur joyau ! Travestie en guerrière virtuelle, la Dame s’en va traquer trolls et autres dragons dans un pays empli de maléfices. Bravant tous les dangers, elle part à l’attaque de ce royaume maudit, côtoyant elfes, gobelins, orques, magiciens et autres créatures plus extraordinaires les unes que les autres. La bataille est âpre ! Les zombies se rebellent, les morts vivants jonchent le champ de bataille… Le sang coule… Les têtes choient… C’est l’horreur la plus totale… L’aventurière se bat, se démène, sue eau et sang ! C’est horrible ! Tolkien et Terry Pratchett réunis ! Va-t-elle sauver le monde ? Va-t-elle pouvoir sauver ce monde ? A moins qu’elle ne doive, avant tout, sauver sa peau !
 
« D’autres portes encore… Laquelle faut-il choisir ?
Nous les ouvrirons toutes, il faut rendre visite
Au seigneur de ces lieux, l’infâme Karazir
Chanoine dévoyé d’une église Maudite ! »
« Fantaisie Héroïque »
 
 


Entre larmes et rires, Juliette s’amuse avec nos émotions, nous surprend, nous émeut, nous berce et nous enchante. Magicienne des mots, troubadour avertie, elle ne nous laisse aucun répit.
Restez vous-même Madame, ne succombez pas aux sirènes du star système, vous êtes de ces artistes exceptionnels qui savent être grands tout en restant simple. La grandeur de votre talent n’a d’égal que l’amour que vous nous transmettez et la modestie qui vous caractérise.
 
©Alain Dukarski 01/11/2005 03:37
 
Album Mutatis Mutandis (Polydor 2005) paroles et musiques Juliette Noureddine
 
Références et infos :

Le blog de Juliette « La Dose et le Poison »
Son site officiel
Le Site Clandestin

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