Saluons l'Ange Gabriel... Ou presque ! Figurez-vous
qu'il y a quelques mois, mon fidèle téléviseur a
lâchement rendu l'âme. Après une dizaine
d'années de bons et loyaux services, il s'est éteint,
paisiblement, comme ça, sans signe avant coureur, un jour de
juillet en fin d'après midi.
A-t-il succombé aux fortes chaleurs ou n'a-t'il pas supporté la défaite de l'équipe de France de football, nul ne le saura jamais. Vu son grand âge, une autopsie n'aurait pas apporté grand chose et il m'a semblé plus digne de le laisser finir sa vie sans avoir à lui triturer les entrailles. Certains diront que j'aurais pu donner son corps à la science, afin qu'on puisse lui prélever quelques organes qui auraient pu sauver d'autres téléviseurs, comme je souhaite qu'on le fasse pour moi-même après ma mort. Malheureusement, il n'aurait pas été utile à grand chose et j'ai choisi de le laisser finir son existence en paix quelque part au paradis des téléviseurs usagés. Hop, direction les monstres ! Ou les encombrants, si vous préférez ! Du coup, le lendemain, dès potron-minet, je me rends, toujours sous le choc, chez mon revendeur hi-fi t.v où j'ai mes habitudes. Là, il me présente un mur d'écrans plus impressionnants les uns que les autres ! Je me sentais un peu comme un allemand de l'Est qui, au lendemain de la chute du mur de Berlin, découvre un supermarché Leclerc ! Après un long moment d'explications, d'hésitations et de tractations je jette enfin mon dévolu sur le super model LCD 81 cm, extra plat, double turbo réacteur à refroidissement liquide, ou un truc dans le genre. Tout heureux de cet achat, je m'en retourne dare-dare chez moi afin d'installer l'objet en question. Malgré un mode d'emploi digne d'un précis de philosophie en serbo-croate, je parviens néanmoins à faire fonctionner la chose. Inutile de vous préciser que dès la première image, j'en avais oublié mon vieux tube cathodique obsolète. Le deuil aura été de courte durée ! J'étais tout bonnement stupéfait par la qualité vidéo. Et encore, ne captant que les chaînes analogiques classiques, il me restait à découvrir ce que pouvait bien donner ce condensé de technologie avec une source numérique. Je plongeai donc dans ma collection de DVD pour choisir celui qui saurait le mieux révéler toutes les subtilités d'un écran LCD. C'est alors que j'opte pour le film « Growing Up », le dernier live en date de Peter Gabriel. Peter Gabriel, pour ceux qui l'ignoreraient, fut le chanteur leader du groupe Genesis jusqu'au milieu des années 70, avant qu'il ne décide de voler de ses propres ailes et qu'un certain Phil Collins, alors batteur de ce même groupe, ne le remplace au micro. Genesis, à cette époque, proposait un rock qualifié de progressif, principalement composé de longues plages musicales propices, en concert, à de grandioses mises en scène théâtrales dont le seul acteur n'était autre que le chanteur du groupe, Peter Gabriel. Grimé à l'extrême, que ce soit en vieillard, en renard ou même en fleur, Peter changeait de personnage à chaque titre arborant systématiquement un déguisement en relation avec le thème de la chanson exécutée. Très vite il deviendra l'attrait incontournable des concerts de Genesis tant sa présence, son charisme et ses délires scéniques apportaient une dimension incroyable aux différents titres joués par les cinq virtuoses composant alors le groupe. Il est vrai que si ce dernier proposait une délicieuse musique subtile et recherchée, la complexité des compositions ne permettait pas vraiment aux autres membres de pouvoir s'exprimer physiquement sur la scène. Pour preuve, le talentueux guitariste Steve Hackett, jouait constamment assis devant un nombre incroyable de pédales d'effets. Du coup, le spectacle était entièrement assuré par Peter Gabriel lui-même, véritable caméléon du cirque rock'n'roll. Conscient d'être devenu l'épicentre du groupe et de faire de l'ombre à ses acolytes, en plus, sans doute, d'une certaine lassitude d'évoluer dans un style musical dans lequel il ne se reconnaissait plus, il signe un dernier album avec Genesis, le double et superbe « The Lamb Lies Down on Brodway » qui clôt la première vie du groupe. Dès lors il laisse ses compagnons assurer seuls l'avenir de Genesis et se lance dans une carrière solo. Trente ans après, Peter Gabriel se retrouve donc numérisé sur une petite rondelle de plastique que je m'apprête à mettre dans mon lecteur DVD. Le chargeur s'ouvre, j'y introduis le film, appuis sur le bouton «close» et le concert peut commencer. Comme je me l'imaginais la qualité de l'image est à couper le souffle. Les couleurs explosent, la luminosité est exceptionnelle, le contraste impressionnant, chaque détail éclate comme par magie. Génial ! Mais bien vite le coté technique s'efface devant le spectacle époustouflant donné par Peter Gabriel et son équipe. Car si du temps de Genesis, le show reposait sur des jeux de lumières éblouissants et des costumes toujours plus fous, aujourd'hui le modernisme, l'informatique et la technologie sont passés par là et Peter Gabriel a su en tirer le meilleur profit pour le plaisir de tous. Et le concert qu'il propose n'a rien de comparable avec tout ce que j'ai déjà vu. Enregistré au Filoforum de Milan en mai 2003, la scène circulaire est située au milieu de la salle offrant ainsi un spectacle à 360° plutôt qu'une vision à 180° comme dans un théâtre classique. Sobrement vêtu de noir, Peter ouvre les hostilités seul au synthé avec « Here Comes The Flood » histoire de se chauffer la voix. Dès les premières notes, le public jubile. A première vue le concert se veut intimiste, sans effet particulier. Mais dès le deuxième titre, ses musiciens investissent la scène : 2 femmes, Rachel Z aux claviers, Melanie Gabriel (la propre fille de Peter) aux chours et 4 hommes, le batteur Ged Lynch, le guitariste David Rhodes, le multi-instrumentiste Richard Evans et l'incroyable bassiste Tony Levin, tous les quatre facilement reconnaissables, comptes tenus qu'ils sont, à l'image de Peter, complètement chauves ou rasés de très, très, près ! Et en un instant, la machine se met en branle, chacun prend sa place et débute le titre suivant « Darkness ». D'entrée le son se veut particulièrement soigné, chaque instrument est parfaitement reconnaissable et le tout sonne en une parfaite harmonie, alternant des passages calmes et délicats avec des envolés fracassantes et explosives. Les musiciens assurent, sans aucun couac, sans aucune fausse note, faisant tous preuve d'un dextérité irréprochable. Quant à l'image en 16/9ème elle est tout simplement d'une qualité exceptionnelle. Et alors que les titres s'enchaînent bénéficiant d'un light-show époustouflant, à l'aplomb de la scène juste à quelques mètres au dessus apparaît une gigantesque sphère, qui tombe peu à peu, se transformant en une sorte de cocon ou en une espèce de fleur en phase d'éclosion, laquelle dévoile toute sa beauté sur « Secret world ». Magnifique ! Alors que se termine le morceau suivant, « Sky blue » avec le Sextet Blind Boys of Alabama pour les chours, du plafond descend un disque évidé en son centre, sur lequel Peter et Melanie se mettent à marcher en chantant... la tête en bas ! Accrochés par un système de baudrier, ceux-ci marchent réellement au plafond à quelques mètres du sol tout en interprétant « Downside Up » soit pendant bien cinq minutes ! Epoustouflant ! Pour le titre suivant « The Barry Williams Show », l'anneau devient un chemin de ronde où Peter se transforme en caméraman pour une projection d'images hallucinantes. Pendant tout ce temps, les musiciens ont « migré » vers le diamètre extérieur de la scène grâce à un subtil système de transformation de celle-ci qui permet par exemple de bouger toute la batterie sans que le batteur n'ait à quitter son tabouret. De nombreux plans nous permettent d'apprécier tout le travail d'une multitude d'hommes en orange qui s'affaire sous la scène pour gérer toute cette machinerie inédite et impressionnante. Mais le public n'est pas au bout de ses surprises. Alors que la structure métallique est remontée, le cocon a « pondu son ouf » au centre de la scène. Un ouf très particulier, espèce de boule géante transparente, le « Zorb Ball », dans lequel Peter Gabriel prend place. Et tandis que le groupe débute «Growing Up », la boule commence à s'agiter au rythme de la basse. Puis, elle quitte le centre et commence à évoluer tout autour de la scène avec comme seul moteur pour le mouvoir, Peter Gabriel qui, marchant à l'intérieur comme un cobaye dans un cylindre, fait avancer et danser cette bulle souple tout en continuant à chanter ! A 54 ans, Peter Gabriel montre une résistance et une capacité physique incroyables. Il maîtrise le « Zorb Ball » à la perfection, défiant même Tony Levin comme pouvait le faire le fameux « Rodeur » avec le Numéro 6 dans le feuilleton « Le Prisonnier ». Ce qui n'est pas une mince affaire. Les bonus du DVD nous expliquent que Peter avait au départ imaginé « rouler » sur le public purement et simplement. Mais les 200 kg du « Zorb Ball » lui ont fait changer d'idée ! Magique et fabuleux ! De retour sur sa base, la bulle se dégonfle petit à petit alors que le groupe poursuit avec « Animal Nation » en compagnie de Charles et Hukwe Zawose en guest-stars. Petite pose technique mais nullement musicale avec le tube « solsbury hill » où Peter se « contente » de rouler à vélo autour de la scène ! Rien de bien extraordinaire si ce n'est une caméra embarquée sur la bicyclette qui diffuse sur écran géant ce qu'elle filme en direct. La foule exulte fascinée par la prestation d'un Peter Gabriel en grande forme qui poursuit le set par un titre lumineux au sens propre du terme. Alors que la scène sombre dans la pénombre, Peter apparaît littéralement vêtu d'un véritable habit de lumière ! L'homme passe donc de l'ombre à la lumière, mais une lumière qu'il transmet lui-même grâce à un manteau lumineux composé d'une multitude de lampes qui s'allument et s'éteignent au rythme de « Sledgehammer ». Féerique ! « Et la musique ? », allez-vous me rétorquer. « Un concert c'est avant tout de la musique, non ? ». Que ce soit dit une bonne fois pour toutes, l'univers musical de Peter Gabriel n'a rien de comparable avec celui de Genesis. Son premier album signait déjà une fracture totale avec les compositions tout en sucreries anglaises de ses ex-compagnons de route. Une rupture qui n'a fait que s'amplifier au fil des albums qu'il a réalisés. Constamment à la pointe du progrès, Peter Gabriel défriche, innove, invente, s'engage vers des territoires inexplorés, mixe les différentes cultures, les divers mouvements musicaux allant jusqu'à créer son propre studio d'enregistrement RealWorld où se côtoient des musiciens du monde entier. Sa musique privilégie donc la mixité culturelle sans être réellement de la "world music", même s'il y intègre certains instruments et certains rythmes. Peter Gabriel se veut un catalyseur de toutes les influences musicales mondiales ce qui confère à ses compositions une couleur toute particulière, subtil mélange de modernité et de sonorités ethniques. Quant au groupe qui l'accompagne, nul doute qu'il doit rendre jaloux plus d'un musicien. De Richard Evans, je ne sais pas grand chose, voire même rien du tout. Plutôt discret, il assure néanmoins plus qu'honnêtement les parties qui lui sont réservées. Je n'en sais guère plus concernant le batteur Ged Lynch hormis qu'il accompagne Peter Gabriel depuis l'album "Ovo"et qu'il a participé à l'enregistrement du dernier album de David Gilmour. Ce qui prouve qu'il n'est pas là par hasard, Gilmour, tout comme Gabriel, n'étant pas homme à s'entourer du premier venu. Moins démonstratif et jazzy que son illustre prédécesseur Manu Katché, trop occupé sans doute à juger quelques nouvelles stars, son jeu de batterie apporte une touche un peu plus rock là où Manu favoriserait une certaine virtuosité technique. A propos rassurez-vous, Manu et Peter ne sont nullement fâchés, ils ont même joué ensemble depuis, lors des nombreux concerts de soutien aux différentes causes humanitaires pour lesquelles militent Peter et ses amis. David Rhodes quant à lui est un vieux compagnon de route de Peter, vu qu'il le suit depuis de nombreuses années déjà. De fait, il s'autorise une présence sur scène que n'osent pas encore avoir les nouveaux promus. Son talent n'est plus à prouver, il sait être aussi rageur que délicat tout en conservant une unité mélodique incomparable. Le son "Peter Gabriel" doit beaucoup à ce musicien incontournable de la sphère Gabriel dont il reste un élément indissociable. Guitariste émérite, nombreux sont les artistes qui ont fait appel à sa guitare pour les accompagner en studio, comme Youssou N'Dour, Tori Amos, The Pretenders, Talk, Talk, New Order, Manu Katche ou encore Loreena McKennit. Rachel Z possède une solide formation de claviériste acquise au conservatoire avant de travailler avec des musiciens de jazz , Steap Ahead, Al Di Meola, Larry Coryel et d'autres. Elle sortira un album en 1993 dans lequel elle explore ses multiples influences qui vont de Chick Corea à Herbie Hancock ou encore Pat Metheny. Mais c'est avec Wayne Shorter qu'elle signera ses lettres de noblesse en collaborant notamment à l'album du saxophoniste « High Life ». Sur scène Rachel, en plus de sa virtuosité indéniable, assure une présence discrète mais au combien indispensable. Pièce maîtresse du groupe, le fantasque et impressionnant Tony Levin a déjà une longue carrière derrière lui, et pas des moindres. Présent depuis le tout premier album solo de Peter, Tony est considéré comme l'un des meilleurs bassistes au monde. Il n'est pas étonnant qu'on retrouve son nom dans des formations aussi prestigieuses que King Crimson, Yes, Liquid Tension Experiment et même Pink Floyd ou qu'il ait prêté mains fortes à des pointures de premier plan : John Lennon, Brian Ferry, Robert Fripp, Steve Hackett (un autre ex-Genesis), Joan Armatrading et bien d'autres encore. Maître incontesté de la basse, Tony a popularisé le Chapman Stick, instrument hybride à 10 ou 12 cordes entre la basse et la guitare qui se joue en frappant les cordes et a inventé les Funk Fingers, sortes de phalanges artificielles qui prolongent les doigts de la main, ce qui d'une part est visuellement très impressionnant et d'autre part offre un son très caractéristique à la basse. L'emploi de ces instruments apporte un son typique, velouté et percutant qui sied à merveille aux compositions de Peter Gabriel. La connivence entre les deux hommes est de chaque instant, ils s'apprécient et se connaissent parfaitement. La scène irradie de cette amitié qui lie les deux complices et leur plaisir à jouer ensemble enchante le public. Reste Melanie qui a la lourde tâche de remplacer Paula Cole au sein du groupe. Un exercice quasiment impossible, mais la mignonne Melanie s'en sort plutôt pas mal même si on la sent encore un peu coincée. S'affirmer à coté de son imposant chanteur de père n'est certes pas chose évidente. Car ne l'oublions pas, Peter Gabriel est une des plus belle voix du rock. Avec le temps, il a appris à mieux la maîtriser, à mieux la poser, à trouver le ton juste sans défaillir. Bref l'ensemble sonne à merveille, chacun donnant le meilleur de lui même pour le plus grand plaisir de tous. Un concert d'exception pour des musiciens exceptionnels. Un pure joyau ! « Father to Soon », que Peter dédicace à son père, clôt d'une émouvante façon le spectacle, en toute pudeur, en toute simplicité, juste Peter au piano accompagné de Tony Levin. Aujourd'hui, Genesis semble définitivement en sommeil. Tony Banks, le claviériste accuse un silence total. Le bassiste Mike Ruthertford et son groupe Mike and The Mechanics font quelques rares et timides apparitions. Phil Collins a, quant à lui, annoncé une fin de carrière scénique lors de sa dernière méga tournée The Farewell Tour, préférant sans doute dorénavant se consacrer aux musiques de dessins animés chez Disney ! Seul Peter Gabriel fait encore preuve d'audace, d'innovation et de créativité. Sans nulle doute un artiste qui a encore beaucoup à dire et à partager. Enfin quand je dis seul, ce n'est pas tout à fait exact. Vous souvenez vous de Steve Hackett, ce guitariste introverti qui passait l'intégralité des concerts de Genesis à jouer assis ? Et bien il a fini par se lever pour quitter le groupe, lui aussi ! En 1977 ! Il a embrassé une carrière solo qu'il poursuit toujours aujourd'hui, entretenant le rock progressif là où Genesis l'a laissé ou proposant des albums de musique classique comme le superbe « Sketches of Satie » où il interprète, avec son frère John à la flûte, les sublimes Gnossiennes et autres Gymnopédies du célèbre pianiste. Mais c'est là une autre aventure, peut être sujette à une future critique. Alain 07/08/2006 23:01 ![]() |