Géant








Autant vous dire que, lorsqu’un copain que je n’avais pas vu depuis bientôt presque 4 ans, m’a téléphoné le 10 août pour me demander si j’étais partant pour aller à la Foire aux vins de Colmar, j’étais plutôt moyennement emballé. Faire 150 bornes pour une foire agricole, même s’il y a du blanc d’Alsace et de la flamkuche, ça demande une certaine motivation. Le dit camarade venant tout spécialement d’Arras pour cette manifestation, il devait cependant y avoir de fortes chances que le Gewürztraminer n’était pas sa seule motivation. Et pour cause, à ma grande surprise, celui-ci m’annonce le plus simplement du monde que l’un dernier dinosaure du rock s’y produisait en concert. Ah bon ? Qui ça ? Neil Young, me répond-il ! Silence au bout du fil… Heu, Neil Young à Colmar ? C’est une connerie, hein, rassure-moi ? Après vérification, l’information était exacte… Le folkeux papy grunge avait bien stabyloté « Colmar » sur son agenda !
 
Ce vendredi 15 août, vers 17 heures, nous sommes donc trois anciens copains à nous retrouver chez moi, comme au bon vieux temps, pour une escapade musicale. Durant le trajet, il faut bien avouer que la fébrilité nous envahissait. Neil Young dans une foire de province, ça sentait la fin de règne. Ce n’est pas la fête de l’andouille à l’Auchan du coin mais pas loin. D’autant plus que le tarif de 45 €, ne présageait rien bon. Arrivé sur place, nos craintes n’en sont que pus justifiées. Sur le parc des expositions de la petite préfecture du Haut-Rhin, une foule bigarrée déambule entre les différents stands agricoles, moissonneuses, charrues et autres motoculteurs flambant neufs. Il ne manque plus que le concours de la meilleure laitière ou de miss bretzel. Bref, après quelques minutes nous arrivons devant l’amphithéâtre. Nous franchissons sans encombre la sécurité, plutôt cool et bon-enfant, et prenons place dans les gradins non sans auparavant être passés par la buvette histoire de manger un morceau et de boire une petite binouze. Je tiens d’ailleurs à saluer l’extrême gentillesse et politesse des nombreuses personnes qu’on a pu croiser. Qu’ils s’occupaient de la tireuse de bière ou du placement sur les parkings, toutes étaient fort aimables, c’est assez rare pour le souligner.
                                                            
Une fois restaurés, nous découvrons la scène plus en détail. Sincèrement la première impression est assez mitigée. Si tous les instruments sont déjà bien en place, voire en double pour certains d’entre eux, la scène ressemble à un véritable capharnaüm et on se demande bien où vont jouer les musiciens ! Ceci dit, au moins il y en aura des musiciens et ce ne sera pas un concert solo, ce qui n’est pas pour me déplaire. Pèle mêle, on devine un énorme ventilateur, des projecteurs disproportionnés genre projo de plateau cinéma, un chevalet vide sur la droite, un piano customisé jaune sur la gauche, un harmonium hors d’âge dans le fond, un vibraphone… Plus étrange, tout au fond à gauche, on distingue de grands panneaux entreposés verticalement, comme on en voit chez Castorama ! Manifestement les organisateurs ont du oublier de débarrasser la scène… Sur le mur du fond, une série de lettres accrochées, sans signification particulière, certainement en place depuis plusieurs années. Probablement 93 d’ailleurs, vu les deux chiffres indiqués.
 
Arrive alors la première partie en la personne de Rodolphe Burger ex Kat Onoma. Et là, catastrophe, on s’aperçoit rapidement que la sono est épouvantable. L’armature d’acier de la salle semi couverte vibre avec les basses et la voix est à peine perceptible. Malgré les qualités de Burger, le courant ne passe pas vraiment, et ce n’est pas la présence à ses cotés d’un Rachid Taha pour le moins à l’ouest (pour rester poli) qui le sauve du naufrage. Mais le plus inquiétant demeure la sonorisation épouvantable qui ne permet pas d’apprécier à leur juste valeur les titres interprétés. Les plus vives inquiétudes apparaissent quant à ce que sera le son du vétéran du rock d’ici quelques minutes.
 
La réponse nous l’aurons à 21:04 précisément. Avec une telle ponctualité, on se dit que l’homme veut certainement en découdre au plus vite, assurer le minimum, histoire d’honorer son contrat et partir vers d’autres cieux. Soudain les projecteurs s’allument et là apparaît en pleine lumière un homme vieillissant, l’air pataud, le visage bouffi… Manifestement le poids des âges l’a lourdement marqué et on imagine très mal ce sexagénaire pouvoir encore être à la hauteur de sa réputation. Il est là, devant nous arborant un curieux costume sombre maculé de tâches colorées, les cheveux longs ne masquant pourtant rien de son importante calvitie. Sous un déluge d’applaudissements, le Looner prend sa légendaire Gibson noire en mains et balance contre toute attente un « Love and Only Love » du feu de dieu accompagné d’un trio de haut vol en la personne de Ben Keith à la guitare, Rick Rosas à la basse et Chad Cromwell à la batterie. Le son est là impeccable, puissant, magistral. La six cordes déchire la nuit alsacienne comme un éclair discontinu, soutenue par une rythmique irréprochable et cette voix si particulière, intacte, après pas loin de cinquante années de présence scénique. Incroyable ! Et l’Ancien enfonce le clou avec un « Hey, Hey, My, My » tonitruant ! La foule exulte ! Neil a décidé de frapper fort, très fort. Cette nuit sera électrique ou ne sera pas ! Pegi Young et Anthony Crawford complète le groupe pour enchaîner les titres dans un orage électrique sans jamais rien lâcher avec un train d’enfer. « Everybody Knows This Is Nowhere”, “Powderfinger”, “Sprit Road”, “Cortez The Killer”, “Cinnamon Girl”, la set-list nous offre un florilège de ses titres les plus explosifs, alternant rythmes écrasants et soli incisifs sans temps mort, sans présenter la moindre faiblesse, avec un plaisir de jouer des plus évidents. Le final de chaque morceau est l’occasion d’un déferlement de distorsion interminable.
 
Ceux qui pensaient entendre ce soir l’intégrale de « Harvest » en version acoustique se trouvent un peu décontenancés. Mais Neil a aussi pensé à eux et, au milieu de cet assourdissant torrent de guitares en fusion, dépose son arme chauffée à blanc, pour endosser son habit de folk-singer. La furie électrique retombe pour faire place à la plénitude d’un « Oh, Lonesome Me ». Le groupe se révèle tout autant efficace dans cet exercice de dentelle musicale que dans celui de soufflet de forge. C’est pourtant seul à l’harmonium et à l’harmonica qu’il se lance dans un « Mother Earth » d’anthologie rappelant étrangement le « Like a Hurricane » du live « Umplugged ». De mémoire de rockeur, c’est la première fois que j’entends un titre joué uniquement par ces deux instruments et par le même homme ! Un régal ! La foule se laisse embarquée par cette ambiance intimiste et magique. Dès les premières notes de « The Needle And The Damage Done », interprété seul à la guitare, le public explose, applaudi à tout rompre ! Les fans de la période folk country sont au bord de la jouissance ! Avant de poursuivre avec « Unknown Legend », Neil nous présente ses musiciens. Pendant tout ce temps, les planches stockées au fond de la scène on révélé leur raison d’être. Ce sont autant de tableaux, peints par Eric Johnson, illustrant à tour de rôle chacun des titres interprétés ou presque. Le même Eric Johnson continuera durant tout le concert de peindre ses toiles. Neil rejoint à présent son piano jaune pour « Wrecking Ball » avant de reprendre sa guitare acoustique pour deux titres incontournables, « Heart of Gold » et surtout l’indémodable « Old Man » que les 7500 spectateurs reprennent à tue-tête. La communion est totale. Juste avant, il saluera la présence de la pleine lune qui illumine le ciel du théâtre de plein air. Magique ! Et cette magie va continuer encore un bon moment. Pour le prochain titre, Neil, qui a repris sa Les Paul, nous offre un inédit « Just Singing A Song Won’t Change The World » de fort belle tenue. Généreux, il nous en offre même un second, nouvellement composé « See Change » qu’il interprétera d’ailleurs deux fois de suite non sans nous expliquer que le groupe à besoin de travailler cette chanson ! Personne ne lui en voudra, bien au contraire !
 
Mais le temps passe, vite, trop vite. Déjà plus d’une heure quarante de concert et on se dit que la fin est proche. Pourtant nous sommes loin d’avoir tout entendu. Le prochain titre est tout simplement énorme ! Dix huit minutes de solo époustouflant, de larsen maîtrisé et de distorsion déchirante. Neil s’accroche à son manche, lui soutire des notes inouïes, pousse l’art du bruit jusque dans ses derniers retranchements. Dès qu’on croit que le titre prend fin, Neil réarme son vibrato et repart à l’assaut de cet incroyable « Cowgirl in the Sand » titanesque ! Bien plus qu’une fin de concert, une apothéose ! Neil salue son public…Chacun pose son instrument… La foule hurle, tambourine, tape des pieds… Il n’en faut pas d’avantage pour que le groupe replonge tête baissée dans le brûlot qu’est « Rockin' In The Free World » repris en chœur par près de 8000 voix ! Et Neil enchaîne les soli prolongeant toujours d’avantage les limites du morceau ! Debout, le public est abasourdi, atomisé, assommé mais ravi ! Dans un tonnerre d’applaudissement et de cris en tous genres, Neil quitte la scène. Les armatures métalliques du théâtre vibrent sous les ovations. Les tôles tremblent. Les gradins sont au bord de l’effondrement. Rapidement, le vieux canadien revient pour un ultime combat ! Et quel combat ! Alors que chacun attend un « Like a Hurricane » obligatoire, Neil prend tout le monde à contre-pied en choisissant de nous offrir… un titre des Beatles ! C’est avec « A Day In The Life » qu’il a choisi de nous donner le coup de grâce. En 8 minutes, Neil revisite ce classique de façon magistrale. Si de prime abord son interprétation reste assez respectueuse de l’originale, avec un peu plus de nerf tout de même, le final lui poursuit bien au-delà le crescendo imaginé par Lennon et Mc Cartney. Chaque instrument monte dans les aigus dans un tourbillon qui frise le délire jusqu’aux limites de l’impensable. Et pourtant, Neil n’en a pas fini… Sa guitare est encore vivante, elle rugit encore et encore. Alors Il l’a frappe, la cogne au sol, lui arrache littéralement les cordes comme pour lui arracher son dernier souffle. Mais la bête est coriace. Alors il l’a plaque contre un ampli et la martyrise encore et encore… Ses derniers cris seront ceux de ses cordes ballantes percutant les micros abandonnés à leur pauvre sort. L’animal est mort. Les lettres accrochées sur le mur du fond de la scène écrivent un « Neil » tout en couleurs…


En deux heures et demie, Neil nous a offert un concert de folie, une démonstration de force qui renvoie nombres de jeunes groupes à leurs chères études. Accompagné d’un groupe fabuleux, mention spéciale Pegy qui nous a dévoilé une voix puissante et joliment maîtrisée, bien moins bourrin que le légendaire Crasy Horse mais tout aussi efficace, il a revisité quarante ans de rock avec une passion et un plaisir certain. Intimiste ou explosif, l’homme nous a montré toute sa générosité, sans jamais faillir, avec ses traits de génie et ses habituelles imperfections qui font tout le charme de sa musique. Bravo l’artiste, c’est certain rock’n roll will never die !


Neil Young : Chant, Guitares, Harmonica, Piano, Harmonium
Ben Keith : Chœurs, Guitares, Pedal Steel Guitar, Banjo, Orgue
Pegi Young : Chœurs, Piano, Xylophone, Percussions
Anthony Crawford : Chœurs, Guitares, Piano, Percussions
Rick Rosas : Basse
Chad Cromwell : Batterie

 





Alain/So Sad 19/08/2008 01:12


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