Camembert Electrique



C'était en 1978. A cette époque sur le tourne disque Philips semi-automatique il n'y a pas encore grand chose qui m'appartient. Mais déjà les grands classiques ne m'étaient pas inconnus. Les Floyd, les Who, Neil Young, Led Zep, ils passaient et repassaient sans cesse sous le saphir usé apportant à chaque écoute un chuintement supplémentaire. Je m'extasiais devant les pochettes de Yes ou Genesis, apprenais par coeur les textes de Ange que je recopiais dans un petit carnet sans en comprendre toutes les subtilités. Je me souviens de ces mélodies savoureuses qui chantaient à mes oreilles encore vierges de toute inquisition rock'n'rollienne. Je voulais tout écouter, tout découvrir. Ahhh, la voix de Plant, la guitare de Townsend, l'harmonica de Neil, la caisse enregistreuse du Floyd, les bonbons anglais de Peter Gab ! Que de magie et de subtiles harmonies mélangées !

En juin de cette année là, je m'offrais, ô délices, mon premier "Best"1 avec Tony Banks en couverture ! C'était un spécial Genesis Story, je le possède toujours d'ailleurs. Un super bon numéro que ce Best de juin 78, avec un long article sur Sid Vicious que je découvrais complètement fasciné (on est con à 14 ans!), un superbe article sur les 12 travaux du Prog anglais où le sieur Hervé Picard, grand journaliste spécialisé dans le prog dont je dévorais chaque article, nous présentait 12 monuments incontournables du rock progressif, Soft Machine, King Crimson, Yes, Genesis, UK, Van des Graaf Generator, Pink Floyd, bref un florilège de ce que la culture prog anglaise offrait de mieux à cette époque. Vous l'avez compris l'année 78 était mon année prog ! 

Poursuivant la lecture acharnée de la dite revue, au détour des albums du mois je découvrais soudain un titre peu banal "Planet Gong Live in floating anarchy 1977". Je lis l'article et là, j'ai soudainement l'impression d'être tombé sur une sorte d'ovni musical. Je me dis, mon gars il te faut cet album. Seulement à 14 ans en pleine campagne meusienne où trouver un truc pareil ? Je relis maintes et maintes fois l'article en rêvant au jour bénis où je pourrai enfin écouter cette galette.

Quelque jour plus tard j'allais à la Maison de la Presse, le temple musical de Verdun, comprenez par-là une librairie banale avec un rayon disque des plus pauvres, et là soudain que vois-je devant mes yeux ébahis, une pochette à dominance noire où était écrit en rond entourant de minables dessins blancs "Camembert Electrique" et au centre, un mot magique "GONG" ! L'excitation était intense !!! J'allais enfin pouvoir découvrir non pas l'album tant convoité, mais peu importe, j'avais entre les mains un 30 cm de Gong ! Un vrai ! Enfin j'allais faire mes premiers pas en solo, découvrant par moi-même un groupe dont personne ne soupçonnait l'existence ! Je déboursais rapidement les 35 balles de l'objet et m'en allait chez moi à vive allure pour enfin me plonger cops et âme dans ce qui allait être ma première expérience hors des sentiers battus du rock'n'roll circus.

Je pose la galette sur la platine et appuie sur "start". Le bras se lève doucement, pivote vers la gauche, prend position et descend effleurer la surface noire avant de se stabiliser au fond du sillon... Et là... Une voix nasillarde venue d'ailleurs proclame ce que je crois entendre "Bonsoir, c'est une émission Planet Gong, Radio gnome invisible, directe de la planète Goooonnnggg" le tout soutenu pas des sortes de bruitages électroniques kitchs digne de Star Trek ! Ouffff, qu'est-ce que c'est que ce truc ? Une autre plus distincte chantonne soudainement un "Plume sous la luuuneee" aussi surprenant qu'inattendu et complètement hors de propos. Puis un dans un brouhaha s'envolent des "goooonnng" sortis de nulle part ! Le tout en 25 secondes montre en mains ! Je venais d'entrer dans l'univers mystico-délirant de Gong par le biais de ce premier titre simplement appelé "Radio gnome" ! Soudain des applaudissements lointains et "You can't kill me" prend le relais. Une guitare électrique impose un rythme plutôt rock, alors que le chanteur commence son texte. Rien de plus banal me direz-vouq, sauf que là le mélange est assez savoureux. La douce voix de Daevid Allen tranche avec le rythme tonitruant de la guitare. Au fur et à mesure que le morceau évolue, se greffe une voix féminine très aérienne, des sortes de petits cris de plaisir ou de jouissance confondus qui se fond dans la musique de plus en plus rapide, de plus en plus saccadée où viennent s'ajouter un sax envoûtant, des soli de guitare suraiguë, le tout martelé de fort belle manière par une batterie omniprésente !

Tout en me laissant emporter par la musique je me plonge dans une auscultation minutieuse de la pochette assez hideuse à vrai dire et peu orthodoxe. Point de graphisme sophistiqué, de photo sublime ou d'effet visuel remarquable. Une pochette simple même pas double, en noir et blanc au graphisme simpliste. Au centre d'un cercle entouré du nom de l'album, le nom du groupe, dans une écriture ronde qui pourrait se rapprocher de ce que seront des années plus tard les tags qu'on pouvait découvrir en se promenant dans le Neuf-Trois dans les années 80. Disséminé un peu partout dans le cercle de drôles de petits personnages aux chapeaux pointus qui expriment quelques propos bizarres et incongrus dans un style BD très dépouillé. Au dos, la liste des titres dans une calligraphie anarchique et une photo toujours en noir et blanc où l'on découvre une bande de joyeux baba-cool affublés de cheveux longs et de tenues improbables.

"I've been stoned before" commence plutôt calmement sur un air d'orgue rapidement relayé par un sax vaporeux et lancinant où se promène la voix lente du chanteur. On pense un peu au Dark Side Of the Moon, en moins sérieux. Gilli Smith vient poser ses gémissements dans une sorte de descente cacophonique et débouche directe sur le morceau suivant "Mister long shanks : O Mother, i am your fantasy". Un gimmick enfantin plutôt rigolo à la guitare où l'on a l'impression que 3 morceaux se mélangent en un seul, toujours accompagné par un sax virevoltant et une batterie jazzy qui s'arrête au bout de quelques minutes pour laisser place à une ambiance très aérienne assurée par la voix angélique de Gilli Smith et les glissandos de Allen. Gilli ne chante pas, elle miaule ! Par-ci par-là quelques bruitages dignes d'un mauvais films de science fiction !

Changement de rythme "Dynamite : i am your animal" explose dans les baffles. Un seul leitmotiv "Dynamite, dynamite, dynamite" est scandé à n'en plus finir appuyé par une batterie digne d'un tambour major et d'une rythmique omniprésente, bientôt remplacé par les vocalises d'une Gilli Smith enrobées d'un mur de son bouillonnant et entêtant, avant de revenir sur le leitmotiv de départ, lequel stoppe net au bout de quelques seconde sur un final enlevé par un martèlement continu, des choeurs répétitifs et un Allen qui semble rapper son texte bien avant la mode.

"Wet chesse delirium" Pendant 28 seconde, en bon français, quelqu'un nous demande "Tu veux un camembert ?" accompagné d'une sorte de barrissement guttural d'une hypothétique bête monstrueuse laquelle semble souffrir le martyr ! Le saphir continu son sillon jusqu'à l'extrême limite du possible éructant ce vagissement bestial qui ne doit son salut qu'au relevage du bras.

Oufffff ! J'en suis tout retourné de cette baffe ! Aussi je décide derechef de me mettre l'autre face.

"Squeezing sponges over policemen's head", sans doute le titre le plus long de l'album, enfin le plus long et le plus court il ne dure que 10 secondes ! 10 secondes d'entre acte bordélique qui finissent sur un "Mais c'est pas possible ça !" avant d'enchaîner sans répit sur un "Fohat digs holes in space" rentre dedans avec son attaque au sax et à la guitare tout en decrescendo avant de se stabiliser sur un climat plus lourd caressé par un vent de guitares planantes et le souffle de Gilli, une atmosphère fantomatique qui s'allonge en brouillard électrique avant que Deavid ne prenne le relais et que le sax apporte un peu de légèreté précédant un solo de guitare saturée qui vient me transpercer les tympans.

"Tried so hard" débute alors plus sereinement, un morceau léger bien pop, qui sombre rapidement dans les abîmes électriques, avant de rebondir au son d'une flûte enchanteresse vers de plus beaux sommets, où Gilli vient nous parler tout tendrement au creux de l'oreille pour finalement après quelques éclats électriques revenir à la sérénité première et finir en feu d'artifice final.

"Tropical fish : Selene" A partir de cet instant les titres se suivent et s'enchaînent, se mélangent, s'imbriquent les uns dans les autres, explosent, s'apaisent et repartent de plus belles vers des sonorités spatiales, jazzy ou lourdement rock, sans aucun répit, sans jamais pouvoir deviner ce qu'il va suivre. Curieux melting pot sonore où le sax joue aussi bien les lutins que les grands maîtres; où la guitare se veut légère autant qu'appuyée, où les solos déchirent les enceintes ou s'en vont flirter du coté de la voie lactée, où la basse écrase le tout ou saupoudre ses notes délicates, où la batterie impose un rythme lourd ou explose en mille cymbales colorées. Curieuse tour de Babel où Allen pose sa voix douce avant de cracher sa dernière corde vocale, ou Gilli susurre ses vocalises, ses "space wishper" ou ses cris de jouissance, sous des nappes de synthé atmosphériques, le tout formant un ensemble qui, sous un aspect complètement déstructuré, donne curieusement une certaine cohérence à l'ensemble. On est là très loin des morceaux de rock classique, couplet-refrain-solo. Là c'est un autre monde, où la construction des titres de répond à aucune règle si ce n'est celles du délire de l'instant. Rien dans les premiers accords d'un titre ne peut présumer de ce que sera la fin du morceau, tant il n'y a aucune ligne mélodique logique et linéaire, ce que reprendront bien des années plus tard des groupes comme les Pixies ou plus encore comme Sonic Youth. Gong semble prendre un malin plaisir à décomposer les morceaux et à les rabouter de façon aléatoire un peu à la manière d'un Franck Zappa. De fait à la première écoute on se sent complètement déstabilisé, comme une poule découvrant un casse tête chinois, mais on se laisse embarquer rapidement dans ce monde venu de nulle part, dans ce voyage vers des folies métaphysiques insoupçonnées aux confins de l'espace musical.

"Gnome the second", 26 secondes d'ultime délire avant de clore (momentanément) ce camembert électrique, véritable météorite tombée en plein océan rock en ce début des années soixante-dix. D'autres lui succéderont notamment avec la fameuse trilogie Flying Teapot, Angel Eggs et You, trois albums bien mieux produit mais beaucoup plus sage.
Quoiqu'il en soit et plus de 20 ans après c'est toujours avec une certaine émotion que je redécouvre cet album qui, bien que forcément has-been, fut l'élément fondateur de toute une discothèque, m'ouvrant des horizons nouveaux grâce notamment à tous ces fabuleux musiciens qui ont croisé la route du Gong : Robert Wyatt, Didier Malherbe, Kevin Ayer, Steve Hillage, voir même Don Cherry....

Quant au fameux "Planet Gong Live in floating anarchy 1977" il figure lui aussi en bonne place au sein de ma discothèque !
 
1"Best" était à cet époque avec "Rock’n’Folk" les seuls journaux d’information musicale qu’on pouvait facilement se procurer.

© Alain Dukarski 08/02/2006






Pour en savoir plus

L'épopé de Gong reste unique dans l'histoire du rock. En effet de part sa géométrie variable le groupe ou les groupes "Gong" ont produit un nombre considérable d'albums. Je dis "les groupes Gong" car en plus du Gong  historique formé par Daevid Allen, un artiste australien installé en France à la fin des sixties ont vu le jour, suite à son départ au milieu des années 70, plusieurs formations. La première, sous la baguette du batteur original, a perpétué le patronyme Gong pour devenir le "Pierre Moerlen's Gong".  Pendant ce temps Daevid Allen poursuivi une carrière solo pour revenir sous divers appelations comme "Planet Gong", "New York Gong", "Mother Gong",  "Gong Maison", " ParaGong" et..."Gong" tout court ! Bref pas toujours facile de s'y retrouver ! De fait en donner une discographie exhaustive relève quasiement de l'impossible !

Il me semble donc indispensable de scinder cette discrographie en plusieurs parties disctintes.
La première est celle du Gong légendaire pour laquelle je ne citerai que les albums, les plus connus en ommétant volontairement les maxi et autres enregistrements atypiques

1969 Magick Brother (Gong) BYG LP (Spalax CD)
1971 Camembert Electrique (Gong) BYG LP (Spalax CD) (Charly CD) (Snapper CD)
1971 Continental Circus (Gong) Phillips LP
1973 The Radio Gnome Invisible, Pt 1: Flying Teapot (Gong) Virgin LP
1974 Angel's Egg (Gong) Virgin LP/CD (Charly CD)
1974 You (Gong) Virgin LP/CD (Charly CD) (Snapper CD)
1976 Shamal (Gong) Virgin LP/CD
1977 Gazeuse! (Gong) Virgin LP/CD
1977 Gong Est Morte, Vive Gong (Gong) Celluloid LP
1977 Live Etc. (Gong) Virgin 2LP/CD
1990 Live in Paris 73 (Gong) Mantra 2LP
1990 Live At Sheffield 1974 (Gong) Mantra LP
2002 Glastonbury 1971 (Gong) GAS Archive CD



Le Gong de Pierre Moerlen

1978 Expresso II (Gong) Virgin LP/CD
1979 Downwind (Pierre Moerlen's Gong) Arista LP/CD
1979 Time Is The Key (Pierre Moerlen's Gong) Arista LP
1981 Leave It Open (Pierre Moerlen's Gong) Arista LP
1986 Breakthrough (Pierre Moerlen's Gong) Arc LP
1988 Second Wind (Pierre Moerlen's Gong) Line LP
1998 Full Circle Live '88 (Pierre Moerlen's Gong) Outer Music CD






Les Gong "parallèles" de Daevid Allen ou de Gilly Smith

1978 Live Floating Anarchy '77 (Planet Gong) Charly LP/CD (Spalax CD)
1980 About Time (New York Gong) Charly LP (Spalax CD)
1981 Robot Woman 1 (Mother Gong) Shanghai LP
1982 Robot Woman 2 (Mother Gong) Shanghai LP
1986 Robot Woman 3 (Mother Gong) Shanghai LP
1989 The History & The Mystery Of Planet G**g Demi Monde 2LP (Gong) (Spalax CD) (Voiceprint 2CD)
1991 Gongmaison (Gongmaison) Demi Monde LP/CD (Voiceprint CD)
1991 Owl & the Tree (Mother Gong w/Daevid Allen) Demi Monde LP/CD (Voiceprint CD)
1991 Eye (Mother Gong) Voiceprint CD
1992 Live 1991 (Mother Gong) Mothermusic CD
1993 Live On TV 1990 (Gong) Code 90 CD
1993 She Made The World (Mother Gong) Voiceprint CD
1994 Tree in Fish (Mother Gong) Tapestry CD (Voiceprint CD)
1995 Pre-Modernist Wireless: The Peel Sessions (Gong) Strange Fruit CD
1995 Live at Glastonbury '89 (Gongmaison) GAS CD
1995 25th Birthday Party (Gong) Voiceprint/GAS 2CD
1995 Live 1973 (Paragong) GAS CD
1997 You Remixed (Gong) Gliss 2CD
1998 Family Jewels (Gong) GAS 2CD
2000 Live 2 Infinitea (Gong) Snapper Music CD
2000 Zero To Infinity (Gong) One-Eyed Salmon CD
2002 OK Friends (Gong) GAS CD
2004 Acidmotherhood (Gong) Voiceprint CD
2005 Live Floating Anarchy '91 (Planet Gong) GAS Archive CD
2005 Parade (Gong Matrices) Voiceprint CD



Et enfin la dsicographie "annexe" de Daevid Allen

1970 Banana Moon BYG LP (Spalax CD) (Charly CD)
1976 Good Morning (w/Euterpe) Virgin LP
1977 Now is the Happiest Time of Your Life Affinity LP (Spalax CD) (Charly CD)
1978 N'existe pas! Affinity LP (Spalax CD)
1982 Ex/Don't Stop (w/David Tolley) Shanghai LP
1982 Divided Alien Playbax 80 Charly LP (Spalax CD)
1989 The Owl and the Tree (Mother Gong) Demi Monde LP/CD
1990 Stroking the Tail of the Bird (w/Gilli Smyth & Harry Williamson) Amp CD
1990 Australia Aquaria Demi Monde LP/CD Voiceprint CD
1991 The Seven Drones Voiceprint CD
1991 The Australian Years Voiceprint LP/CD
1992 Who's Afraid (w/Kramer) Shimmy Disc LP/CD
1993 12 Selves Voiceprint CD
1995 Hit Men (w/Kramer) Shimmy Disc LP/CD
1995 Dreamin' a Dream GAS CD
1998 Eat Me Baby I'm a Jellybean GAS CD
1998 22 Meanings (w/Harry Williamson) Gliss CD (promo CD)
2001 Sacred Geometry (w/Micro Cosmic) No Meat CD
2001 Nectans Glen (w/Russell Hibbs) Voiceprint CD
2004 BMO Vol 10: Melbourne Studio Tapes (w/Invisible Opera Company of Oz) BMO CD
2004 BMO Vol 9: Divided Alien Playbax Disk 2 BMO CD
2004 BMO Vol 8: Divided Alien Playbax Disk 1 BMO CD
2004 BMO Vol 6: Live @ the Knit NYC (w/Nicoletta Stephanz) BMO CD
2004 BMO Vol 5: Live in Chicago (w/University of Errors) BMO CD
2004 BMO Vol 4: Bards of Byron Bay (w/Russell Hibbs) BMO CD
2004 BMO Vol 3: Self Initiation BMO CD
2004 BMO Vol 2: Live in the UK (w/Brainville) BMO CD
2004 BMO Vol 1: Studio Rehearsal Tapes 1977 (w/Euterpe) BMO CD
2004 Live Spring '88: The Return Voiceprint 2CD
2004 Gentle Genie Voiceprint CD
2004 Makoto Mango (w/Guru & Zero) Swordfish CD
2005 Sacred Geometry II (w/Micro Cosmic) No Meat CD

Cette liste est certainement loin d'être complète, mais elle donne un panel assez large de la production


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