Mélodies
en Vers et contre
tout
S'il semble
évident que la poésie et la
musique soient intimement liées, dans les faits il
apparaît que la réalité soit tout autre. Bien
entendu de nombreux poètes ont vu leurs vers mis en musique et
pas des moindres, cependant à de trop rares exceptions
près, il ne s'agit bien souvent que de simples accompagnements
sonores et non une véritable démarche artistique visant
à donner aux mots la couleur qu'ils méritent. Sans doute
la poésie répond-elle à des règles trop strictes
qui se marient assez mal à celles de l'écriture musicale.
Prosodie et harmonie ne sont sans doute pas accordées au
même diapason ! Il est certain aussi que Verlaine ou Bossuet
ignoraient tout de la musique actuelle. Je ne vous parle même pas
du rock, du punk ou du rap ! Ceci dit vous allez me
rétorquer que de grands poètes ont été mis
en musique de fort belle manière. Je ne le nie pas. Je trouve
juste que généralement ces mises en musique restent
très classiques et n'apportent pas grand chose aux textes
initiaux. L'osmose totale entre musique et poésie reste assez
rare et plus particulièrement dans le monde rock.
Évidemment certains d'entre vous auront raison de me faire
remarquer qu'il y a tout de même un certain Léo
Ferré qui excelle dans ce domaine. Mais je pense que je vous
ferai injure de vous parler du Maître tant j'imagine que tout
mélomane et poète qui se respecte se doit de
connaître son œuvre !
Pour ma part donc,
j'ai juste la modeste ambition de vous offrir un court inventaire de
groupes ou compositeurs ayant réussi une association
musique-poésie où la musique n'est pas qu'un simple
prétexte au texte mais apporte un plus de part son climat et son
atmosphère. Et dans ce domaine, à mon sens, l'album le
plus abouti du genre reste "Catherine Leforestier chante Rimbaud". Une
approche résolument moderne et "world music" qui apporte un
éclairage tout en couleur aux textes de ce cher vieil Arthur.
Une réelle réussite que cet album aux accents
nord-africains. Un voyage en Abyssinie, un melting-pot aux influences
diverses où se mélangent des ambiances musicales
inédites dans une démarche résolument novatrice et
envoûtante transportant les mots dans un univers magique. Un pur
régal ! Catherine Leforestier transcende les textes de Rimbaud
en leur offrant un relief des plus subtils. Pour ceux qui
désirent découvrir un peu plus encore le monde de
Catherine Leforestier, je ne peux que vous conseiller son magnifique
album "Music of Aziza", empli de petits joyaux finement ciselés.
Pour rester dans
l'atmosphère world-music, je vous emmène à…
Grenoble ! Pas très exotique ? Et pourtant… Là bas, entre
rock, rap, funk, reggae, raï et autres influences diverses, le
groupe Gnawa Diffusion nous peaufine une musique on ne peut plus
moderne. Et dans leur répertoire aux saveurs
méditerranéennes on découvre sur l'album "Bab El
Oued Kingston" un superbe "Gazel au fond de la Nuit" que Louis Aragon
avait écrit pour Elsa Triolet et dont je vous invite à
découvrir sans plus tarder la saveur parfumée aux
épices d'Afrique du nord.
Moins exotique est
la démarche du défunt groupe français Little Nemo.
Issu du mouvement 'Touching Pop', le groupe sévissait à
la fin des années 80, offrant une sorte de new-wave, moins
claustrophobe que celle des années 78-80, point donc ici de look
"corbeau", et apportant une structure musicale plus ouverte et plus
riche en influences. Dans leur album "Sounds in the Attic" au milieu de
leurs propres textes majoritairement en anglais, le groupe met en
musique "A une passante" de Charles Baudelaire l'illustrant là
d'une musique sobre et profonde toute en harmonie avec le spleen du
poète. S'il s'agit là d'un seul et unique essai fort
réussi, le groupe abordera le thème de la poésie
à plusieurs reprises notamment au travers de titres comme
"L'Overprose".
Plus difficile
d'accès pour le non initié,
mais non moins intéressant, le groupe français Complot
Bronswick a revisité l’œuvre de Maïakovski dans l'album qui
lui est dédié et qui porte son nom. Il reprend notamment
dans le titre "A Vous Toutes" un des poèmes de l'auteur traduit
en français, accompagnant le texte dramatique de l'auteur d'un
seul piano accentuant l’esprit lent et douloureux. Dans ce même
album le groupe dédie tout particulièrement le titre "Who
killed Maïakovski" dans un rock beaucoup plus enlevé et
déchiré, une rythmique lourde, sombre et violente qui
finit en une véritable cacophonie sonore.


Plus classique
reste la démarche de Bernard Lavilliers qui à de
nombreuses reprises, a parsemé sa discographie de textes de
divers auteurs. Sa reprise dans l'album "O Gringo" de "Est-ce Ainsi que
les Hommes Vivent" sur une musique de Léo Ferré est de
toute beauté. Sur sa propre musique et dans l'album "If" on
trouve le superbe titre éponyme "If" de Rudyard Kipling ainsi
que la "Promesse d'un visage" de Baudelaire sur une guitare aux accords
brésiliens. Lavilliers a récemment sorti une compilation
"La Marge" de ces poèmes mis en musique. Parmi lesquels on
retrouve "Préface" de Ferré, "Marizibil" de Guillaume
Apollinaire, "Les Feuilles Mortes" de Prévert, "La Ballade des
Pendus" de François Villon, "Chanson Dada" de Tristan Tzara, "Tu
es plus Belle que le Ciel et la Terre" de Blaise Cendrars ainsi que "Je
ne Voudrais pas Crever" et "La complainte du Progrès" de Boris
Vian en plus des précédents titres cités
ci-dessus. Tous ces titres ne sont certes pas tous d'un
intérêt musical indéniable, mais cet album a au
moins le mérite de promouvoir la poésie. On retrouve
certains de ces poèmes déclamés avec la force
qu'on lui connaît sur "Histoires en Scène", seul
intérêt de ce double album live plutôt froid et
insipide. N'oublions pas non plus que Bernard Lavilliers est un grand
poète, à part entière, qui sait avoir une plume
lumineuse et inspirée. Un grand monsieur.
Enfin il existe bien
d'autres hommages musicaux à nos grands poètes, qui sans
reprendre systématiquement un poème en particulier,
proposent une vision toute personnelle et souvent pleine de surprises
de grands noms de la poésie. C'est par exemple au détour
de l'album "Défloraison 13" de Hubert Félix
Thiéfaine et plus précisément dans la chanson
"Quand la Banlieue Descend sur la Ville" qu'on découvre la voix
nasillarde de Antonin Arthaud ! Un extrait de "Pour en Finir avec le
Jugement de Dieu", un enregistrement radiophonique surprenant où
Arthaud parle de l'insémination artificiel qui n'était
alors à peine qu'une simple idée ! Etonnant discours d'un
esprit hors du commun illustré par un Thiéfaine on ne
peut plus moderne et conforme à ce style si particulier et
personnel qu'on lui connaît. Thiéfaine, un autre grand de
la poésie moderne.
Dans le même
esprit, le groupe américano-belge Tuxedomoon illustre sur
l'album "Suite en Sous-Sol / Time to Lose" son titre "L'Etranger (Gigue
Existentielle)" d'après le livre de Camus par un extrait de ce
même livre récité par Albert Camus lui-même.
Petite anecdote en passant, le premier single du groupe The Cure
"Killing an Arab" paru en 1978 avait suscité à
l'époque l'indignation des pseudo-bien-pensants qui ont cru voir
en ce titre une apologie du crime raciste alors que Robert Smith,
l'auteur de la chanson en question, ne faisait là qu'un clin
d'œil au livre de Camus. Évidemment le titre était
volontairement provocateur, mais n'est-ce pas le rôle de la
poésie et de la littérature que d'être un peu
provocatrice ?
Enfin j'aimerai
clore cet inventaire par un dernier coup de cœur en la personne de
Sophie Moleta qui dans son album "Dive" propose dans le titre
"Apollinaire" un mixed de plusieurs poèmes de Guillaume
Apollinaire, malheureusement en anglais. Mais je tenais à parler
de cet album car Sophie Moleta est une artiste trop méconnue,
quelque part entre Laurie Anderson et Tori Amos qui nous emmène
dans des voyages sonores envoûtants inédits, c'est aussi
ça la poésie. Et lorsqu'on sait que Sophie s'offre les
services d'Hector Zazou à la production et les studios RealWorld
de Peter Gabriel, on ne peut qu'être assuré de la
qualité de la chose. Et puis si vous trouvez cet
intermède musical un peu hors sujet et bien tant pis pour vous.
C'est encore moi qui écrit non ? Je fais bien ce que je
veux !
Cette
liste n'est bien entendue nullement exhaustive, loin de là, et
je serai même heureux que vous apportiez votre propre pierre
à l'édifice en étoffant ce petit catalogue de vos
propres découvertes. J'avais juste envie de partager avec vous
quelques petites pièces musicales qui ont su charmer mes jolies
oreilles. Alors n'hésitez pas envoyer moi vos coups de cœur
musicaux et poétiques afin, pourquoi pas, de proposer une
discothèque idéale pour tous les amoureux des mots et des
sons !
©
Alain Dukarski 30/09/2003
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