Jazz
Imaginez-vous.
Mais bon moi je n'y étais pas allé pour m'en mettre plein le lampion, mon but était tout autre. Ce soir là, Sidsel Endresen et Bugge Wesseltoft étaient à l'une des affiches du NJP. Le NJP ? Le Nancy Jazz Pulsations ! Un festival de jazz au sens large qui pendant deux semaines environs nous offre une kyrielle de musiciens tous aussi plus prestigieux les uns que les autres. De Miles Davis à Keith Jarrett, ce festival a écrit les plus belles phrases musicales du jazz en France et ce depuis plus de 20 ans notamment dans son célèbre chapiteau de la Pépinière, véritable pierre angulaire incontournable de la culture musicale nancéienne ! J'entends déjà les intégristes de la musique, les puristes jazz-maniaques crier au scandale. Ben je m'en tape ! Na ! Donc ce soir là, point de chapiteau, non, non. La mode étant à la décentralisation, le dit concert subissait lui aussi la décentralisation. Petite note au passage à mon ministre, si vous avez l'intention de me décentraliser dans un café théâtre, je signe tout de suite hein ! Aussi donc pendant que Sidsel poussait ses âpres incantations et que Bugge triturait ses machines, on pouvait entendre ça et là les fourchettes battre le fer avec les couteaux, les verres s'entrechoquer, bref une vraie calamité !!!! Écouter le chant superbe de Sidsel à coté d'un vrp en goguette en train de manger une tête de veau ou des pieds de cochon, ça le fait vraiment pas ! Sans parler des serveurs qui vous passent sous le nez, avec des mets tous plus ou moins odorants, comme de véritables équilibristes au milieu des spectateurs abasourdis ! Et entre l'odeur du bœuf braisé et le chichon du voisin, faut avoir le coeur accroché ! Mais bon, passé ces désagrément, on arrive à se plonger dans le concert. Faut dire que les deux compères mettent vite les choses au point et imposent un silence total rien que par leur présence. Et là, la magie s'opère ! Sidsel chante comme personne, à capela pour commencer, un mélange de chant et de bruit indescriptible. Elle se veut glace et feu, nous emporte dans des contrées sauvages et glaciales pendant que mon voisin termine de saucer sa béchamel. Puis Bugge vient la seconder, tressant des lignes mélodiques impossibles sur un clavier ridicule, ajoutant des bruits inédits à l'aide d'appareillage bizarre, augmentant le rythme sur un seul et unique tamtam, le tout créant une ambiance des plus envoûtantes. Et Sidsel continue de vociférer ses gutturales élucubrations géniales ! Cris de bêtes, souffle du vent, tout y passe ! Une véritable frénésie sonore, où l'on ne sait plus qui fait quoi, si c'est Sidsel qui chante ou Bugge qui bricole ! Époustouflant ! Puis au milieu de cette tempête, une accalmie, l'électronique s'atténue, et Bugge commence quelques notes éparses de piano qui se fondent et s'enchaînent en une mélodie douce et sombre. Sidsel l'accompagne d'une voix superbe et puissante pour une descente vers des horizons jazzistiques insoupçonnés. Le piano se veut aérien tout en subtilité, jusqu'au moment où Bugge se met à plonger à l'intérieur même de l'instrument, comme un mécanicien dans le moteur d'un vieux GMC pour en sortir des sons étranges venus on ne sait d'où ! Et là, il frappe, il tord, il martèle, il glisse, s'accompagnant au clavier de la main droite ! Et de ce chantier de déstructuration musicale, prend naissance des musiques inouïes et tout simplement belles ! Bugge est un sorcier des sons et Sidsel une magicienne de la voix ! Toute la salle s'enfuit dans un monde magique, envoûtée, sous la charme, comme si la grâce était là, personnifiée par ces deux artistes hors norme qui vont bien au-delà de la musique, qui viennent nous chercher, nous bousculer dans notre classicisme académique, nous emporter avec eux dans leur folie électro-acoustique, comme pour nous dire, "Venez, venez avec nous ! Abandonnez vos certitudes, vos habitudes, laissez vous guider ! Ouvrez vos oreilles et votre coeur et laissez vous transporter pour d'autres horizons musicaux insoupçonnés". Dans un ultime chant déchirant, Sidsel salue la salle, Bugge enfin sourit , s'excusant presque de devoir nous quitter. Fin du set. Reprise du fromage et de la poire belle hellène. Place au concert suivant. R.Giuliani Quartet. Un groupe italien ! Ah ben, si les ritals se mettent à faire du jazz où va t’on ? Je vous le demande ! Autant demander à des russes de chanter du blues ! Vous imaginez ça vous ? "Igor Kroutchinov et sa balalaïka va vous interpréter Perestroïka blues !" "Ah c'est pas coton !" s'écrient depuis leur Louisiane natale les petits enfants de l'oncle Tom ! Bref, là pourtant, pas de soucis. De bons, très bons même, musicos. Contrebasse, batteria, piano forté et sax. Le tout à la sauce italienne. Complets vestons noirs et pompes blanches. Dès le premier morceau, des compos personnelles et des reprises de Petrucciani, le décor est posé. Le Vésuve gronde de la contrebasse, les spaghettis virevoltent sur la batteria, le chianti coule du sax et le pizzaiolo saupoudre son piano de pointe de parmesan du plus meilleur effet. C'est fort, puissant, bien joué, mais sans grand intérêt, rien de révolutionnaire, rien de comparable avec le bonheur passé, si ce n'est la tchatche du sax qui plaisante avec le public dans un français plutôt correct, après avoir soufflé dans son instrument comme un damné, comme s'il voulait cracher son dernier poumon !!! Un petit concert sans prétention, parfait à l'heure où la majorité termine à peine son pousse-café ! Fin de la soirée. ![]() © Alain Dukarski 31/03/2003 ![]() |