Choisir la vie
![]() "Choisir la vie... Choisir un boulot, choisir une carrière, choisir une famille, choisir une putain de télé à la con, choisir des machines à laver, des bagnoles, des platines laser, des ouvre-boîtes électroniques... Choisir la santé, un faible taux de cholestérol et une bonne mutuelle. Choisir les prêts à taux fixe, choisir son petit pavillon, choisir ses amis, choisir son survet' et le sac qui va avec. Choisir son canapé avec les deux fauteuils, le tout à crédit avec un choix de tissu de merde... Choisir de bricoler le dimanche matin en s'interrogeant sur le sens de sa vie. Choisir de s'affaler sur ce putain de canapé, et se lobotomiser aux jeux télé en se bourrant de MacDo. Choisir de pourrir à l'hospice et de finir en se pissant dessus dans la misère en réalisant qu'on fait honte aux enfants niqués de la tête qu'on a pondus pour qu'ils prennent le relais. Choisir son avenir... Choisir la vie. Pourquoi je ferais une chose pareille ? J'ai choisi de ne pas choisir la vie. J'ai choisi autre chose. Les raisons ? Y'a pas de raison. On n'a pas besoin de raisons quand on a l'héroïne." Ces premiers mots de Mark Renton, scandés comme un slam monocorde installent en quelques minutes le malaise ambiant. Mark Renton vit à Edimbourg, une des nombreuses banlieues écossaises ravagées par le chômage et la crise économique. Désœuvré et sans idéal, il vivote avec ses compagnons d'infortune tuant l'ennui et le temps à coup d'héroïne. Entre délinquance et menus larcins leur vie s'enfonce petit à petit dans une dépendance autodestructrice inexorable. Tour à tour psychopathe, violent, pathétique, en décalage complet avec la société, chacun révèle une personnalité tourmentée rongée par les excès d'alcool et de dope. Entre deux délires toxicos où le seul but est d'atteindre l'orgasme suprême et la recherche perpétuelle d'argent et de sensation toujours plus forte, ces jeunes écossais désœuvrés tentent de trouver des réponses à cette société conservatrice, sans espoir, sans rêve, sans rien à leur offrir d'autre que cette échappatoire dérisoire dans laquelle ils plongent sans retenue. Pourtant même dans le pire des enfers subsiste une faible lueur de salut. C'est cette lueur qui va conduire Mark Renton, sans doute le plus lucide de tous, à vouloir s'échapper de ce bourbier. Après une première tentative qui finira lamentablement dans les toilettes crasseuses d'un pub minable où il fera le plus horrible des "bad trip" - ce qui donne lieu à une scène d'anthologie remarquable - il suivra de force une cure de désintoxication avant de s'exiler pour Londres. Ayant trouvé un travail stable, il commence une nouvelle vie, loin d'Edimbourg, loin de la came, loin de ses ex amis. C'est du moins ce qu'il croit, jusqu'à ce que son passé le rattrape comme un cancer incurable. ![]() ![]() Révélé sur la BBC par la sublime et détonante série en six épisodes de Dennis Potter « Lipstick on Your Collar » (diffusée sur Arte il y a une dizaine d'années), Ewan McGregor incarne à merveille, dans ce qui est son premier grand rôle au cinéma, Mark Renton ce jeune écossais au sortir de l'adolescence avec ses doutes, ses excès, perdu, en manque de repère, un peu à la manière de Vincent Cassel dans le film de Mathieu Kassovitz "La Haine". On retiendra aussi Robert Carlyle, qu'on retrouvera en meneur de Chippendale dès 1997 à l'affiche du génial "The Full Monty", dans le rôle de Begbie, un alcoolique psychopathe, le seul à échapper aux ravages de la drogue pour sombrer... dans ceux de l'alcool ! Ewen Bremner "Spud", Jonny Lee Miller "Sick Boy" et Kevin McKidd "Tommy" achèvent cette remarquable galerie d'acteurs. Considéré par certains comme l'"Orange Mécanique" des années 90, "Trainspotting" s'il peut choquer, s'il témoigne d'une violence certaine, est cependant radicalement différent de son aîné même s'il y fait parfois références. Quand Stanley Kubrick choisit plutôt un décor moderne voire futuriste pour l'époque, Danny Boyle installe sa caméra dans un passé proche toujours d'actualité. Quand Kubrick grime Alex et ses trois droogies, Boyle n'use d'aucun artifice et nous présente véritablement des "gueules". Quand "Orange Mécanique" dénonce la violence d'une certaine jeunesse huppée et décadente en manque de sensation, "Trainspotting" relate le désœuvrement d'adolescents, sans le sous, démotivés et sans ambition. D'un côté la violence gratuite comme moyen d'expression, de l'autre comme preuve de survie. Et lorsque Kubrick accompagne son film d'un étonnant mélange de musiques classiques, Beethoven, Purcell, Rossini et d'autres, revisitées par le compositeur d'avant garde Wendy Carlos, qui ré-interprète ces oeuvres au synthétiseur (une première pour l'époque!), Danny Boyle nous offre une bande-son explosive et éclectique où se côtoient Iggy Pop, Brian Eno, New Order, Blur, Elastica, Pulp ou encore Lou Reed ! Bien sûr, Danny Boyle n'est pas Stanley Kubrick, il ne cherche pas à l'être d'ailleurs. Il a ses propres codes, sa propre vision et son cinéma plonge dans les méandres d'une réalité bien quotidienne quitte à effrayer les bien-pensants. Alain/So Sad 21/05/2007 22:19:36 ![]() ![]() |